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fêtes agricoles, où ils disent leur mot sur nos affaires. Il n’y a qu’un malheur, c’est que ces discours ne guérissent rien, ne disent à peu près rien, parce que ceux qui les prononcent se sentent eux-mêmes sous le poids d’un passé embarrassant qu’ils ne veulent pas ou n’osent pas désavouer. Si la situation est devenue si extrême, en effet, c’est qu’ils s’y sont prêtés par leurs connivences, par toute leur politique Ils ont voulu, eux aussi, réviser la constitution, — cette constitution qu’ils défendent aujourd’hui, — et ils n’ont fait qu’ébranler les institutions, préparer les révisions futures. Ils ont cru s’assurer la popularité par leurs prétendues réformes scolaires, par des profusions de toute sorte, et ils n’ont réussi qu’à conduire les finances publiques à cette inextricable crise où tous les ministres se débattent, sans savoir comment on en sortira. Ils ont flatté, enflammé les passions de secte par leurs guerres religieuses, et ils ont créé cet état moral où tous les sentimens froissés se sont tournés contre eux. Ce que les radicaux arrivés au pouvoir par leur faute, prétendent achever, ils l’ont en définitive commencé. C’est leur faiblesse !

Ils voient aujourd’hui le danger, ils sentent la nécessité de se modérer, de s’arrêter dans la voie qu’ils ont ouverte eux-mêmes, sous prétexte de politique républicaine ; et qu’ont-ils à proposer ? C’est le moment de s’expliquer. M. le président de la chambre, qui est plein de bonnes intentions, dit fort honnêtement sans doute que « les bons citoyens doivent se réunir sur le terrain des affaires publiques » qu’il faut chercher ce qui rapproche, non ce qui divise ; mais comment entend-on cette union ? qui veut-on rapprocher ? M. Jules Ferry, à son tour, prononce des discours véhémens et acrimonieux : quel est à travers tout le dernier mot de sa politique ? Le fait est qu’on ne voit pas bien ce qu’il veut ou ce qu’il ne veut pas. Il en est encore à parler du 16 mai, à déclamer contre les conservateurs, à offrir cette miraculeuse branche d’olivier de la concentration républicaine aux frères ennemis, les radicaux. Ce tacticien supérieur ne trouve rien de plus habile que de froisser de plus en plus les conservateurs, qu’il ferait mieux de ménager, sans réussir à désarmer les radicaux, qui repoussent ses avances d’un ton injurieux et hautain. Voilà où en est un des hommes qui ont la prétention de donner un gouvernement au pays ! Il n’y a dans ce nouveau discours de Remiremont qu’un mot étrangement juste ! M. Jules Ferry prétend qu’on s’expose à ce que l’histoire dise un jour qu’après avoir conquis le pouvoir, après avoir eu « dans les mains la plus belle partie qui se soit jamais rencontrée, » les républicains ont tout perdu par leurs fautes. C’est possible ; c’est justement la question qui s’agite, et si M. Floquet est homme à précipiter la crise, M. Jules Ferry ne prouve pas jusqu’ici qu’il soit homme à la détourner ou à la ralentir, en donnant satisfaction aux griefs, aux mécontentemens croissans, aux vœux de la France.