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La composition du discours, dont le sujet n’est pas neuf, est la même qu’autrefois : est-ce, enfin, que l’expression même a quelque vertu, quelque vice original ?

L’art moderne, à l’ordinaire, se pique de ne pas être un art, un système de procédés qui donne l’image de la nature, un miroir ; il prétend n’être qu’une glace sans tain, à travers laquelle on aperçoit la réalité. L’ouvrage de M. Hennique, en bonne justice, est assez conforme à la doctrine. Oui, voilà bien la maison d’un malade, voilà même son caractère : inquiet, tâtillon, emporté, puis languissant… Mais justement cette langueur, qui est son état ordinaire, finit par nous gagner : il bâille et nous bâillons. « Dieu de dieu, que je m’ennuie ! » soupire le déplorable Morel. Plus la peinture de cet ennui est minutieuse (en fait, n’est-ce pas ? c’est toujours une peinture), plus le trompe-l’œil est admirable, et plus on s’ennuie à l’examiner. Ajoutez que la garde-malade, ce capital personnage, a de secrets desseins sur le patient, et que ses desseins, en effet, demeurent secrets : du moins, ses paroles sont énigmatiques ; les causes de ses actions, même des plus criminelles, restent cachées, comme elles pourraient l’être hors du théâtre : — est-ce que les mobiles de la volonté sont toujours à fleur d’âme ? — Une lueur de veilleuse, dans une atmosphère nauséabonde et fade, c’est le jour qui éclaire ce drame domestique : on ne peut y assister sans quelque malaise et quelque somnolence, il me paraît qu’Esther Brandès est un chef-d’œuvre en son genre, mais que ce genre n’est pas fait pour nous divertir.

Belle Petite et la Fin de Lucie Pellegrin pourraient se réclamer de la même école. Belle Petite est le procès-verbal de ce qui se dit, un jour ou l’autre, dans un entresol galant comme il s’en trouve beaucoup. La Fin de Lucie Pellegrin n’est qu’un petit musée anatomique, dont toutes les pièces, je le veux bien, ont été moulées habilement sur nature. Il va sans dire que ce procès-verbal n’offre qu’un intérêt médiocre, et que ce musée anatomique n’est qu’un piètre régal pour la curiosité des adultes.

Mais la Prose, la Sérénade, la Pelote et le reste auraient beau se réclamer de « l’art impersonnel, » nous serions forcés de mettre en doute que ces ouvrages lui appartiennent. (Le drame romantique, autrefois, se réclamait bien de la nature et de la vérité ! .. )

Ah ! tous ces personnages sont moins mystérieux qu’Esther Brandés : pleutres ou coquins, ils confessent leur pleutrerie ou leur coquinerie. Non pas qu’ils la laissent voir naïvement par échappées ; ils en font cyniquement un étalage perpétuel. Une ostentation pareille, et si persistante, n’est pas le fait du commun des hommes : il faut que le langage de tous ces gens-là soit commandé par quelqu’un, — l’auteur. Est-ce un novice ? On l’entend qui les souffle en