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malpropre, dégoûtant, sans cesse un lavement ou une médecine dans le ventre, mouchant, toussant, crachant toujours… » n Est-ce le portrait de Morel ou d’Argan ? Mais non ! Morel est moins sale, avec sa sclérose du cœur. — Au fait, s’il n’y avait pas de maladies véritables, il n’y aurait pas de médecins : on sait qu’il y a des médecins chez Molière, on les connaît ! Sont-ils appelés, quatre à la fois, auprès d’une jeune fille, ils se retirent bientôt dans la chambre voisine pour délibérer. Le premier dit : « Paris est étrangement grand, et il faut faire de longs trajets quand la pratique donne un peu. » Le second riposte : « Il faut avouer que j’ai une mule admirable pour cela, et qu’on a peine à croire le chemin que je lui fais faire tous les jours. » Et, ainsi de suite, ils causent de leurs petites affaires jusqu’à ce que le père interrompe la consultation : « Messieurs, l’oppression de ma fille augmente ; je vous prie de me dire vite ce que vous avez résolu. » Et les quatre, en même temps, répondent : « L’avis de ces messieurs tous ensemble… Après avoir bien consulté, etc., etc. » Ce n’est pas ceux-là qui donneraient à leur confrère, le médecin d’Esther Brandès, amené chez Morel par le courtier d’assurances, des leçons d’humanité ! .. Il se trouve, par bonheur, que les pâmoisons de la jeune fille étaient feintes ; l’Amour suffit à la guérir. Mais sont-ils morts d’un mal imaginaire ou simulé, ces trois enfans d’un apothicaire ? Est-ce d’un mal imaginaire ou simulé que ces deux autres encore sont condamnés à mourir ? Admirez le père, qui recommande un médecin : « voilà déjà trois de mes enfans dont il m’a fait l’honneur de conduire la maladie, qui sont morts en moins de quatre jours, et qui, entre les mains d’un autre, auraient langui plus de trois mois… Il ne me reste plus que deux enfans, dont il prend soin comme des siens ; et le plus souvent, quand je reviens de la ville, je suis tout étonné que je les trouve saignés et purgés par son ordre. »

Où donc, je vous prie, l’existence du mal physique est-elle certifiée plus clairement ? Pour le mal moral, on ne pense pas que Molière l’ait ignoré ; mais se figure-t-on bien toutes les variétés qu’il en a décrites ? La tyrannie des parens, leur volonté habituelle de n’allier la jeunesse de leur fille qu’à une somme d’argent, le bonhomme Gorgibus, voisin de Sganarelle, ne fait pas difficulté de la déclarer :


Lélie est fort bien fait, mais apprends qu’il n’est rien
Qui ne doive céder au soin d’avoir du bien ;
Que l’or donne aux plus laids certain charme pour plaire,
Et que sans lui le reste est une triste affaire.


En 1660 ! Deux cent vingt-huit ans avant la Prose ! .. Un autre Sganarelle, dans l’Amour médecin, et Gérante, à son tour, dans le Médecin malgré lui, tiennent pour les mêmes principes. D’aventure,