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l’auteur de manquer de sérieux ! On l’accuserait plutôt de pédantisme.

Déjà signalé en librairie, ce pessimisme n’est donc nouveau que sur la scène : pourquoi s’en étonner comme d’un monstre, dont la venue annoncerait la fin du monde ? Et parce qu’il est nouveau sur la scène, est-ce une raison seulement pour que les documens qu’il apporte y soient inédits ? Mais, depuis quelque temps déjà, il existe un genre de pièces qui montrent l’homme autrement que par ses beaux côtés : on les appelle comédies. En voici une qui passe pour bénigne, l’Étourdi, d’un certain Molière ; on y voit un jeune homme qui, cherchant à emprunter de l’argent, laisse répandre par son valet le bruit que son père est mort ; il écoute sans broncher ces gentillesses :


Votre père fait voir une paresse extrême
A rendre par sa mort tous vos désirs contens…
Je fais courir le bruit que d’une apoplexie
Le bonhomme surpris a quitté cette vie…


Je ne sache pas que le Théâtre Libre ait rien produit de plus scandaleux ! Maintenant, s’il vous plaît, prêtez votre attention à ce début d’un ouvrage. Un mari, une femme, de pauvres gens, se disputent. Lui, rappelle insidieusement « qu’il n’eut pas lieu de se louer la première nuit de leurs noces, » et « qu’elle fut bien heureuse de le trouver. » Elle, aussitôt, réplique : «… Bien heureuse de te trouver ? Un homme qui me réduit à l’hôpital ; un débauché, un traître, qui me mange tout ce que j’ai ! .. Qui me vend pièce à pièce tout ce qui est dans le logis ! .. Qui m’a ôté jusqu’au lit que j’avais ! .. Qui, du matin jusqu’au soir, ne fait que jouer et que boire ! .. Et que veux-tu pendant ce temps que je fasse avec ma famille ? .. J’ai quatre pauvres petits enfans sur les bras,.. qui demandent à toute heure du pain. » L’homme clôt la discussion par cet arrêt : s Quand j’ai bien bu et bien mangé, je veux que tout le monde soit soûl dans ma maison. » voilà des mœurs populaires ! Êtes-vous chez M. Antoine ? Est-ce l’Assommoir qui recommence ? .. Non pas ! vous êtes à la Comédie-Française ; et ce n’est que la première scène du Médecin malgré lui.

Argan n’est que malade imaginaire ; il met pourtant sur la scène l’appareil de la maladie et même de la mort. Étendu dans son fauteuil, comme le beau-frère d’Esther Brandès sur son canapé, il est pris pour un cadavre ; il n’est pas mieux traité par sa femme que l’infortuné Morel par sa belle-sœur : « Le ciel en soit loué ! s’écrie Béline, me voilà délivrée d’un grand fardeau. » Et l’oraison funèbre qu’elle improvise le dépeint aussi repoussant pour le moins que s’il avait eu quelque maladie véritable : « Un homme incommode à tout le monde,