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encyclopédistes aient fait l’opinion de la postérité sur le XVIIe siècle, que les jugemens de Grimm dans sa Correspondance, et de Marmontel dans ses Mémoires, soient devenus les nôtres, et que, ne faisant pourtant de leurs œuvres et d’eux que le cas qu’il convient d’en faire, nous nous représentions Buffon tel qu’ils nous l’ont peint ?

C’est qu’il y a peut-être une part de vérité dans leurs jugemens ; et lorsque, par exemple, ils reprochent à Buffon la magnificence et la pompe ordinaire de son style, on est tenté de croire qu’ils n’ont pas toujours tort. Encore faut-il bien distinguer. Buffon a la parole ample, il a le geste large, il ramène dans la prose française cette phrase majestueuse que Voltaire avait remplacée par sa phrase alerte et court-vêtue, Montesquieu par sa phrase sentencieuse, énigmatique et saccadée, mais également brève ; et c’est ce qu’on peut ne pas aimer, mais non toutefois lui reprocher. La manière de Voltaire, car il en a une, et celle de Montesquieu, ne sont pas des modèles dont il soit interdit de s’écarter. Mais l’auteur du Discours sur le style ne s’est peut-être pas assez fidèlement conformé à la très belle et très sévère définition qu’il a donnée du style : « Le style n’est que l’ordre et que le mouvement que l’on met dans ses pensées. » Par-delà le pouvoir de « l’ordre » et du « mouvement, » Buffon a cru sans aucun doute à celui des mois et de la rhétorique. C’est ce qui se voit dans les corrections qu’il fait au style de ses collaborateurs : Guéneau de Montbeillard et l’excellent abbé Bexon. S’il y en a beaucoup d’extrêmement heureuses, il y en a trop d’inutiles, ou de vaines, pour mieux dire, qui ne sont pas précisément d’un « phrasier, » comme l’appelait encore d’Alembert, mais un peu d’un rhéteur. Le grand défaut du style de Buffon, il semble que ce soit le manque d’aisance et de liberté, je ne sais quelle tension ou quel effort, constant et visible, vers la noblesse et vers la majesté. Il veut orner jusqu’aux plus petites choses, et il n’y réussit pas toujours, et, quand il y réussit le mieux, on sent encore la peine, l’apprêt et l’artifice.

On lui fait un autre reproche, qu’on lui faisait déjà de son temps, un reproche plus grave et qui paraît mieux fondé, que lui ont adressé Malesherbes et Réaumur, que Flourens a repris dans son Histoire des idées de Buffon, et qui, de ce livre médiocre, a passé dans la plupart des biographies de Buffon et de nos histoires de la littérature. C’est d’avoir toute sa vie combattu, dans la personne de Linné, par exemple, les « naturalistes classificateurs, » ou plus généralement d’avoir nié le pouvoir des Méthodes. Sous une autre forme encore, c’est d’avoir non pas précisément dédaigné l’observation et l’expérience, — toute son Histoire naturelle et toute sa Correspondance au besoin seraient là pour prouver éloquemment le contraire, — mais d’avoir abusé de l’hypothèse, et, en voulant anticiper sur la marche lente de la science, d’en avoir ainsi retardé le progrès. Ou bien enfin, c’est d’avoir accrédité de