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rendre ces effets d’air ambiant et de transparence lumineuse dont si peu de peintres ont eu le secret. Ici, son but manifeste a été d’éblouir et de fasciner par une description de sept mètres carrés, où n’entre pas la moindre pensée. Première leçon : toute œuvre d’art qui ne s’adresse ni à l’esprit ni au sentiment doit séduire par les yeux. Or, la première des séductions en peinture, c’est la couleur, et peu importe la gamme. Pour chaque thème, pour chaque donnée, on en peut trouver une, et ce beau vêtement artistique ne nuira jamais ni au naturel ni à la vraisemblance.

Que fera cependant un peintre qui se propose d’être naturaliste et n’a point dans l’œil le sens de la couleur ? Eh bien ! il trouvera encore dans les Fileuses l’exemple d’une autre qualité plus nécessaire encore que la couleur, le style. Oui, le style, et j’insiste sur ce mot à propos de Velasquez, parce que les critiques superficiels n’ont pas su Voir le style chez les Espagnols. Qu’il soit rare chez les Hollandais et la plupart des Flamands, et nulle part aussi grand que dans les écoles italiennes et françaises, je n’y contredis pas. Mais nos Espagnols ont pratiqué aussi, avec un art souverain, l’harmonie des masses et des lignes. Chez Velasquez, cette harmonie est à la fois absolue et relative, en ce sens qu’il ne peint pas du même style un nain de cour, un bouffon, ou les rois, les infans, Olivarès et Pimentel. Dans les Fileuses, il renverse le procédé, et son génie lui montre qu’on ne peut pas peindre une grande toile dans le même esprit qu’un petit tableau. Si le thème n’est rien par lui-même, il faut y ajouter. C’est pourquoi il a dessiné et groupé ces cinq ouvrières de telle façon que, parfaitement vraisemblables et simples dans leurs attitudes, leurs gestes et leur expression, aucune ne manque de grâce ni même d’élégance. Point de discordance dans les lignes, ni platitude dans le geste. Et, pourtant, ce sont bien de pauvres fileuses à l’ouvrage. Elle est naturelle, cette robuste fille qui replie avec tant d’art sa jambe sous sa jupe verte et étend d’un geste si franc sur le dévidoir son beau bras nu, où tombe toute la lumière. Ne voit-on pas, à chaque instant, chez l’ouvrier, des attitudes sculpturales ? Ici, cependant, avec un accent de plus, la figure deviendrait académique. Mais le peintre s’est arrêté juste au point où la réalité et l’idéal se rencontrent pour former ensemble le beau complet et vivant. En-deçà de ce point, c’est le trivial ; au-delà, la convention.


V

Murillo est mieux représenté au Louvre que dans toute autre galerie hors de l’Espagne, mais pas assez, tant s’en faut, pour qu’on puisse l’y juger et l’apprécier. Des dix tableaux inscrits sous son