Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 89.djvu/399

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mauvaise distribution de la lumière. D’ailleurs, si le plus grand nombre des toiles qui nous restent de Zurbaran appartiennent au même style que celles du Louvre, il y en a de plus richement colorées, comme la Sainte Casilda du Prado, comme aussi les cinq tableaux consacrés aux Mystères de l’enfance du Sauveur, qui ornent la magnifique galerie de M. le duc de Montpensier, à Séville. L’un d’eux, l’Annonciation, est peut-être le plus beau, le plus pathétique, le plus adorablement pieux et touchant qui ait jamais représenté cette scène tant de fois traitée par les maîtres de tous les pays. Pour l’expression mystique, Zurbaran peut défier les plus célèbres et les plus grands, Memling et fra Angelico, Léonard et Lesueur.

C’est à ce dernier qu’on l’a comparé le plus souvent, et comme lui, en effet, il a senti la beauté et la grandeur de, la vie monastique, et il a fait en peinture la psychologie du cloître. Mais avec combien plus de puissance et d’éclat 1 Appelé sans cesse dans des couvens pour les décorer, il voyait de près la vie des moines, et il en pénétrait le mystère et la raison d’être :


Cloîtres silencieux, voûtes des monastères,
C’est vous, sombres caveaux, vous qui savez aimer !


disait-il, sans doute, avant notre grand poète. Et il peignit des moines agenouillés, en prières et animés d’une ferveur indicible. Mieux que cela, il trouvait dans cette étude, dans cette contemplation philosophique des religieux, le terme de ses évolutions artistiques, la dernière et la plus belle expression de son génie. Je veux parler de ces cinq portraits de pères de la Merci, transportés de leur couvent de Séville à l’académie de Saint-Ferdinand, à Madrid. Il n’y a rien de pareil dans aucune école, et ces cinq panneaux suffisent à mettre leur auteur hors de pair.

Les moines sont peints en pied et debout ; les uns lisent, les autres écrivent sur un gros livre qu’ils tiennent à la main. Leurs frocs blancs et leurs belles têtes s’enlèvent d’un fond brun uni avec le plus vigoureux relief. Ce ne sont plus de ces moines extatiques et sombres, mais tout simplement des types de religieux, aussi vrais, plus réels encore et surtout plus humains ; des moines comme ils devaient être tous, dans la vie ordinaire des cloîtres, avant la décadence des ordres monastiques. Les plus jeunes sont graves, les plus âgés sourians, mais tous très calmes et sereins, avec un front plein de pensées et un regard limpide, et respirant surtout, comme dit le grand historien des moines, a cette paix intérieure et