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publiciste vigoureux, esprit absolu, pousse sa pointe, rappelle qu’en 1870-1871 MM. Jules Ferry, Léon Gambetta, de Kératry, Henri Brisson, réclamaient la suppression de cette préfecture de police machiavéliquement instituée par Bonaparte. Un repaire d’abus, une pépinière de scandales, si nous l’en croyons. Comment en serait-il autrement avec ce préfet qui dirige souverainement la police des mœurs, se met au-dessus de toutes les lois, jouit d’une irresponsabilité sans limites, reçoit d’énormes fonds secrets du ministère de l’intérieur, nomme, révoque, avance ses subordonnés ? « Agent politique, il est indépendant du parlement ; officier judiciaire, il est indépendant de la justice ; officier municipal, il est indépendant du conseil. » Et le remède à cela ? Rien de plus simple : supprimer la préfecture de police, remettre la police municipale à l’assemblée de l’Hôtel de ville. En attendant l’heure du berger, celle-ci joue la comédie de la réserve : elle refuse tous les ans de voter les 27 millions nécessaires à ce service obligatoire ; le ministère les inscrit d’office, et la réserve disparaît. Les Français, a-t-on dit, sont les comédiens ordinaires du bon Dieu ; les quatre-vingts seraient, eux aussi, très plaisans, s’ils n’avaient tant de dispositions pour le mélodrame.

J’écris les quatre-vingts : il serait plus exact de dire les soixante, chiffre réel de cette majorité d’autonomistes, possibilistes et blanquistes. A côté d’eux surnagent quelques républicains modérés et onze conservateurs dont on ne saurait assez glorifier le courage, le dévoûment ; parmi ces champions du bon sens se trouvent des hommes de talent : MM. Denys Cochin, Dufaure, Després, Hervieux, Gaufrès. Ils parlent dans le désert lorsque la politique et la religion sont en jeu ; mais il faut reconnaître que dans les questions d’affaires les soixante les écoutent volontiers, et, plus courtois que la majorité de la chambre, leur accordent l’entrée de toutes les commissions et l’honneur de présenter d’importans rapports. Fanatisme à part, ces soixante renferment un certain nombre d’hommes laborieux et instruits, qui valent mieux que leurs actes, et aimeraient mieux procurer au peuple de l’ouvrage que des discours, si la crainte de l’électeur n’était le commencement de la démence. Quant à leur probité privée, je la tiens pour irréprochable, l’incident Lefebvre-Roncier étant demeuré isolé, une brebis galeuse n’ayant nullement communiqué la contagion au reste du troupeau.

L’esprit de secte a d’étranges présomptions. Un de ces autonomistes affirmait naguère à son voisin de table qu’il se faisait fort de lui démontrer, en cinq minutes, que Dieu n’existe pas. Le voisin sourit et repartit : « Cinq minutes, c’est trop ou pas assez. » Contradiction bizarre : ils s’acharnent contre le christianisme et