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les candidats des chambres syndicales, lesquels, munis d’un viatique de 3,650 francs, fourniront un rapport trimestriel « sur le milieu moral et matériel des travaux municipaux, et donneront à l’état un exemple, pour qu’il en fasse bénéficier l’industrie nationale ! »

Au milieu de tant de largesses, ces parangons de la pure démocratie ne s’oublient pas complètement. La loi édicte la gratuité des fonctions municipales ; mais, vu la pesanteur du fardeau, ils se sont attribué et le gouvernement leur laisse prélever une indemnité de 4,000 francs. Après tout, les membres du corps de ville, sous l’ancien régime, recevaient des jetons de présence, des dons en nature, hypocras et épices, et même une pension de cent sous tournois ; et à la fin du XVIIIe siècle, ces droits et honoraires avaient dû singulièrement s’enfler, car un règlement de 1783 les réduit à 136,380 livres, et supprime en même temps les dons de robes de velours, de robes de deuil, les distributions de bougies et de jetons. Nos municipaux pourraient aussi invoquer la réponse de Talleyrand quand on lui annonça que le mandat de député et la pairie seraient gratuits : « Ce sera bien cher ; » sans parler de cette fameuse distinction imaginée par un ministre opportuniste entre les lois organiques et les lois secondaires, celles que le gouvernement respecte et celles qu’il viole. Seulement qu’on n’invoque plus le droit commun sans épithète ou même le droit commun élargi : dans quelle autre commune de France tolère-t-on qu’une assemblée municipale s’adjuge des traitemens, ait des commissions permanentes, le droit d’initiative presque absolu, prenne des délibérations politiques, s’immisce dans le détail des services, exerce une pression envahissante sur le personnel ?

Un homme d’esprit, prétendant trouver un sens profond dans le livret de Robert le Diable, voyait dans ce héros, fils d’un démon et d’une pieuse princesse, l’image de l’homme politique contemporaine : attiré par son père vers le mal, vers la révolution, perdant son or, ses chevaux, son épée, mais protégé par l’esprit de sa mère qui le pousse vers le bien, vers le conservatisme, résistant aux séductions, aux danses des nonnes démagogiques, puis enfin brisant, à la prière de la princesse Isabelle, son rameau magique, et rentrant par le mariage dans l’ordre et la vérité. Notre conseil n’a malheureusement pas, comme Robert le Diable, son bon ange à côté du mauvais ; il flotte sans cesse entre deux démons, entre deux écueils : tantôt la superstition révolutionnaire, le fétichisme des symboles radicaux, la manie des remèdes empiriques ; tantôt le génie de la prodigalité représenté par un fonctionnaire habitué à faire grand, ayant, comme son ancien patron, M. Haussmann, le goût des