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En fait, chaque Parisien, homme, femme ou enfant, doit en moyenne apporter 130 francs au Minotaure, sans compter sa part des charges nationales. Si toutes les communes se modelaient sur la capitale, leurs dépenses annuelles atteindraient le chiure de 5 milliards, plus de dix fois leur montant.

Ayant un budget d’état, nos échevins ont éprouvé l’irrésistible tentation d’imiter nos législateurs : à quoi bon posséder une grande fortune, si l’on ne s’en sert pour se passer ses fantaisies, pour protester contre les doctrines imaginées par le baron Louis et autres ganaches « de l’âge de la pierre taillée ? » vainement leur objecte-t-on qu’ils sont des pères de famille et qu’ils font des placemens de fils de famille, qu’au lieu de supprimer les abus, ils se contentent de les déplacer et s’empressent même de les multiplier. Reproches naïfs, objurgations ridicules ! S’ils n’avaient leurs pensées de derrière la tête, ces messieurs répondraient sans doute avec cette grande dame de l’ancien régime : « Les abus, mais c’est ce qu’il y avait de mieux. » Les besoins croissans de la démocratie parisienne, le paupérisme, la solidarité, disent-ils. Oui, sans doute, mais lisez entre les lignes et traduisez : la tactique électorale, la courtisanerie envers le Mob, le désir de jeter de la poudre aux yeux de l’opinion publique.

A dépenses excessives, procédés irréguliers. Confondre le budget ordinaire et l’extraordinaire, transporter à celui-ci une partie des dépenses permanentes, et présenter un équilibre apparent produit par des ressources de report ou d’emprunt, majorer les recettes à un taux qu’on sait ne pouvoir réaliser, reproduire tous les jours l’idée chimérique d’enrichir un peuple en jetant l’argent par les fenêtres, créer des réserves fictives, se targuer d’économies mensongères, recourir aux crédits supplémentaires, cette plaie des budgets, menacer et frapper la propriété foncière qui n’en peut mais, reste là comme une sotte et devient la bête de somme du fisc parisien, augmenter ainsi l’attrait de la fortune mobilière, crier : « vive les réformes ! » et créer sans cesse des services onéreux, si bien que les dépenses ordinaires se sont accrues en dix ans de plus de 40 millions, ce sont là jeux, non de princes, mais de majorités parlementaires ou municipales. « Les choses changent de nom, dit très bien M. Brelay, les bénéfices changent de mains, mais les principes restent les mêmes ; ainsi le roi ne vend plus d’offices pour se créer des ressources temporaires en grevant un avenir qui est presque le lendemain, mais son successeur donne des places et fortifie ainsi sa clientèle, puis il l’épure au moyen de mises à la retraite prématurées, et, comme autrefois, paie deux titulaires pour chaque emploi, dont l’un ne fait plus rien, tandis que l’autre apprend son métier.