Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 89.djvu/349

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

défaillance délicieuse qui jadis la faisait moins pure. Elle finit ici plus chastement et n’est plus que la traduction du mot affectueux de Goethe : « Reste ! J’aime tant à demeurer où tu demeures. »

Quant à l’épilogue admirable de Faust : Anges purs, anges radieux, il n’appartient qu’à Dieu. Cependant, après la mort de Marguerite, après l’appel des anges, le chœur céleste est amené par la phrase d’orchestre qui termine l’acte du jardin, et cette phrase, reparaissant une dernière fois, relie deux grands amours : celui qui a failli perdre Marguerite et celui qui l’a sauvée.

Plus encore que par Faust, Gounod devait être attiré par Roméo et Juliette, autre drame d’amour et drame d’un autre amour. Trois duos, voilà tout Roméo : triple danger pour d’autres, triple succès pour Gounod. d’une passion constante, il a noté les trois étapes progressives ; il a écrit un duo de fiançailles, un duo d’hymen et un duo de mort.

Ne cherchons pas ici le décor musical. Le bal chez Capulet et le combat dans les rues de Vérone sont manqués. Rien, dans les scènes accessoires, qui approche de la kermesse, du choral des Épées, de la scène de l’église ou de la mort de Valentin. Mais le fond des deux ouvrages est de même qualité ; certaines parties de Roméo seraient plutôt supérieures. Faust est plus complet, se tient mieux dans l’ensemble. Au point de vue spécial qui nous occupe : celui de l’amour, Roméo, par des détails exquis, le dispute et peut-être l’emporte.

L’ouvrage débute admirablement par une page de grande couleur et de grand caractère, le prologue. J’aimerais le voir mis en scène comme une fresque florentine, et non comme une apothéose du Châtelet. Sur cette fresque musicale, quel rayon : Juliette parut et Roméo l’aima ! Le rideau à peine baissé, ce n’est plus un rayon, c’est un flot de lumière qui jaillit de l’orchestre. Les instrumens à cordes exposent, pour la première fois, la phrase qui sera l’âme du drame ; l’âme immortelle, car, après avoir plané sur le lit nuptial des deux époux, elle s’envolera de leur tombeau.

Cette phrase ne ressemble en rien au motif d’amour de Tristan. Elle enveloppe au lieu d’étreindre et d’étouffer ; profondément tendre, en nous pénétrant elle ne nous déchire pas. Elle est aussi de bien plus longue haleine. L’autre est moins une phrase qu’une ébauche mélodique et comme une poussée brutale de passion physique. Cela n’empêche que l’amour, dans Roméo, commence, ainsi que dans Tristan, par le coup de foudre ; et ce coup de foudre, il faut l’avouer, est faiblement rendu par l’exclamation de Roméo : O trésor digne des cieux ! surtout par la cadence assez plate : Je ne connaissais pas la beauté véritable. J’aime encore moins