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s’il l’aimait il resterait près d’elle et ne sacrifierait pas leur félicité commune à je ne sais quel vœu d’incognito. Le chevalier blanc chérit Elsa, mais il place au-dessus de son amour la loi dont il est le serviteur, et il y a quelque grandeur dans ce respect et cette obéissance. Lohengrin ne pas aimer Elsa ! Il l’aime, au contraire, et de plus d’un amour : en ami, en frère, en amant, en époux. Elsa n’aime pas autant qu’elle est aimée ; l’âme de Lohengrin est supérieure à la sienne. Dans l’admirable premier acte, dès l’arrivée de Lohengrin, cette supériorité paraît. Elsa est une douce créature, prise dans un piège de mensonge et de haine. Pendant la scène de l’interrogatoire, extasiée, presque hallucinée, elle ne vit que dans un rêve, dans le rêve qui lui a promis un sauveur. Tout à coup son héros se montre, et l’on sait quelle entrée radieuse le musicien lui a faite. Après cet éclat, que de douceur ! qu’elle est suave, la bonté des forts ! Dès les premières paroles à Elsa, quelle intensité de tendresse ! Solennellement, Lohengrin propose à la jeune fille le pacte qui doit les lier. Quand elle l’a accepté, « Elsa, dit-il simplement, je t’aime ! » et trois ou quatre notes suffisent à dévoiler l’immensité de cet amour.

Le second acte appartient à Elsa. Comme Marguerite, elle ouvre sa fenêtre la nuit. Mais elle n’a pas l’aspiration de Marguerite aux voluptés prochaines ; elle ne dit pas comme elle : L’air m’enivre ! Les sens dorment encore chez l’innocente fiancée. Son amour est fait surtout de reconnaissance. Elle n’appelle pas le bien-aimé ; mais elle pense à lui ; elle le remercie d’être venu vers elle. Elle remercie jusqu’aux souilles favorables qui l’ont amené sur les eaux. Cette brise qui jadis entendit sa plainte, elle la prend maintenant à témoin de sa joie. Du balcon d’Elsa tombent des chants frais et purs, des modulations qui s’enchaînent avec grâce, avec aisance ; la rêverie de la jeune fille se poursuit et s’achève dans la sérénité. Heureuse, Elsa ne se souvient plus de son malheur, ni du mal qu’on lui a fait. Elle témoigne à la traîtresse Ortrude la confiance et l’indulgence que donne le bonheur. Elle descend jusqu’à son ennemie pour la consoler, presque pour lui demander pardon. Chaque phrase d’Elsa respire la mansuétude et la générosité de la jeunesse. Il y a là toute une page adorable. Dans cette âme heureuse, rien ne demeure amer. Elsa veut que tout le monde l’aime. Elle veut surtout désarmer la farouche Ortrude et faire passer en elle un peu de son propre bonheur, avec un peu de sa bonté.

Mais les insinuations d’Ortrude, le scandale provoqué par elle à la porte de l’église troublent la confiance d’Elsa. Ce n’est pas sans arrière-pensée qu’elle franchit le seuil nuptial. Ici se place le grand duo de Lohengrin, l’un des plus beaux parmi les grands duos d’amour : l’un des plus beaux par la forme musicale et l’expression