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musical et dramatique, — miracle de beauté et de vérité tout ensemble, — cette même mélodie amène une double explosion, d’amour chez Raoul et de terreur chez Valentine. Enfin, la phrase s’apaise ; elle passe doucement, en mourant, d’un instrument à un autre, et par degrés elle s’éteint sur ce dernier mot : Viens ! qui descend des hauteurs comme un dernier hommage d’adoration et de respect. En vérité, jamais on ne s’aima ainsi, avec cette passion et cette chasteté. Lisez, dans la Chronique de Charles IX, la scène entre Diane de Turgis et Mergy, dont la scène des Huguenots est évidemment inspirée, vous mesurerez de quelle hauteur l’idéal du musicien domine celui du romancier. Est-ce le danger, est-ce la mort prochaine, est-ce la noblesse naturelle de ces deux âmes qui sanctifie leur tendresse ? Je ne sais, mais pas une note de sensualité ne ternit la pureté de cette nuit d’amour.

L’amour change de note dans l’Africaine, dont l’incomparable quatrième acte réunit les trois grands sentimens que nous étudions : le sentiment religieux, le sentiment de la nature et l’amour.

La tendresse de Raoul et de Valentine est autrement surnaturelle et complexe que la passion de Vasco et de Sélika, — celle de Vasco surtout, — caprice de voyageur, de marin, sollicité par des sensations inconnues, par des désirs nouveaux. Là-bas, dans les contrées étranges, l’âme, comme le corps, se dépayse, abjure un peu sa morale et son esthétique d’Europe. Là-bas, elle subit je ne sais quel avatar qui l’incline sans trop de scrupules, surtout sans le moindre préjugé de race ni de couleur, aux amours naturelles, — j’allais dire animales, — qui la soumet au pouvoir des Vénus inconnues. Vasco tombe au milieu d’une nature excessive, écrasante ; le soleil le brûle, l’air le grise. Un instant menacé de mort, et sous la hache des barbares, il revient à lui et résout de bien mourir. Les idées morales le ressaisissent ; le héros reparaît, mais pas pour longtemps. Il se voit sauvé par la reine elle-même, son esclave d’hier, la reine aux yeux sombres, au diadème de plumes éclatantes, aux voiles de gaze et d’or. Le voilà roi, maître de ce pays de feu et de cette créature de bronze. Il se trouble, et l’on se troublerait à moins. Demandez à Pierre Loti, qui, dans le pays de Barahu, n’était pourtant pas roi.

Devant la pagode étincelante, au milieu des trépieds qui fument, monte une clameur religieuse. Trois fois la voix du vieux brahmine, trois fois la voix du peuple porte vers le soleil l’invocation sacrée. Il n’y a point là d’idolâtrie grossière, de fétichisme ridicule ; ces rites sont grandioses. On oublie quels dieux ce peuple prie, quelles puissances il adore, pour adorer et prier avec lui. Tout le monde est à genoux, sauf le pontife, debout entre les fiancés, qui boivent dans des coupes d’or. L’auguste psalmodie plane sur eux ;