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moins jusqu’à nouvel ordre le plus grand homme du théâtre lyrique. On relèverait sans doute, même dans les Huguenots, des pages vieillies, des formes devenues formules, et parfois des beautés plus dramatiques que musicales ; mais la conception meyerbeerienne est encore celle qui, dans l’ensemble, satisfait le plus aux exigences, souvent difficiles à concilier, du drame et de la musique, aux compromis délicats et nécessaires entre la vérité et la beauté.

Nul opéra, je crois, n’a exprimé l’amour avec plus de grandeur que les Huguenots. Le duo de Faust, le duo nuptial de Roméo, le duo de Tristan, sont des duos d’amour terrestre ; celui des Huguenots plane au-dessus de la terre. Raoul et Valentine s’aiment, quelques heures avant la mort, comme on s’aimera sans doute après elle, avec les âmes seulement.

Cette pureté se reconnaît non-seulement dans le duo célèbre, mais dans l’œuvre entière, par exemple dans tout le rôle de Valentine, qui porte le signe certain de la passion et de la vertu. Dès l’entrée de Valentine, au troisième acte, la claire ritournelle de clarinette qui l’accompagne, l’admirable cantabile : Ah ! l’ingrat, d’une offense mortelle ! les moindres mots, les moindres mouvemens vers Marcel, tout révèle l’âme ardente, mais pure de la jeune femme, qui n’avoue que dans la nuit, et voilée, le secret de son amour, de son dévoûment et de son imprudence. Elle sauvera Raoul, sauf à trahir son père, mais non pas son époux, et l’ombre d’une pensée mauvaise ne ternira pas ce jeune front couronné de fleurs nuptiales.

Avec cette pureté, quelle tendresse, quel mépris des fausses pudeurs et des convenances trop étroites pour les grandes âmes ! Dans la nuit, parlant au serviteur fidèle de celui qu’elle adore, comme Valentine se livre ! Comme la passion comble toute distance entre le vieux domestique et la jeune patricienne ! Quelle générosité, quelle vaillance ! Je veux donc le sauver, fût-ce au prix de ma vie ! Qui ne se rappelle l’éclat, l’éclair de ces mots, et, dans la dernière partie du duo, l’exaltation du chant, l’ardeur fiévreuse de l’orchestre ?

Jusqu’au quatrième acte, Raoul et Valentine se sont à peine vus, et seulement pour se méconnaître, pour s’affliger l’un l’autre. Leur rencontre, au quatrième acte, n’en est que plus foudroyante. Et dire que Scribe, le roi des librettistes pourtant, n’avait point écrit là de duo ; sans Nourrit, il n’en eût point senti la beauté, la nécessité même !

Raoul et Valentine sont aux prises. Échevelée, la jeune femme a couru à la porte, qu’elle barre de ses bras nus. C’est là, à ce moment précis, qu’elle se décide à tout risquer, à tout dire. En t’écoutant, je suis coupable. — En t’écoutant, ne le suis-je donc pas ? ..