Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 89.djvu/291

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

au roi de faire passer cette loi dans las cortes, au lieu que, si la proposition venait en droiture de sa part, ils s’armeraient contre, croyant que ce serait une insinuation de la France. » Le père confesseur, ajoute du Bourk, « a donc pris des mesures très propres pour faire insinuer au conseil d’état, qui doit, avant tout, donner son avis, qu’il convient à la nation de faire officiellement une consulte au roi sur ce sujet. » De son côté, le cardinal Giudice, travaillant dans l’ombre, adroitement et sans relâche, a a su disposer favorablement les conseillers ses amis,.. et il en est enfin résulté une belle consulte au roi, le priant de faire passer cette loi par las cortes. » Malheureusement, avant d’être présentée aux députés espagnols, cette consulte doit passer sous les yeux du conseil de Castille. Sur vingt-trois membres qui le composent, vingt l’approuvent sans restriction ; mais les trois autres, tout en ne s’opposant point à la présentation de la loi qui doit modifier la constitution du royaume, déclarent que, dans leur opinion, les avantages qu’on lui attribue sont au moins fort problématiques. Cette opinion ayant été, à titre d’observation, introduite dans le texte de la consulte, deux membres ont fait remarquer que, du moment qu’elle y figurait, ce texte cessait d’être conforme au sentiment de la majorité ; ils ont été brusquement interrompus par le président, qui leur a brutalement imposé silence[1].

Les cortès voteront-elles une loi qui porte atteinte aux usages constitutionnels du royaume, alors que plusieurs conseillers de Castille en trouvent les avantages problématiques ? Cela est plus que douteux. En conséquence, au lieu de leur soumettre le projet ainsi amendé, Philippe l’a remis à son conseil d’état, qui, « l’ayant examiné, a fait, d’après le chevalier du Bourk, une consulte fulminante contre le conseil de Castille, dans laquelle on priait le roi de marquer son indignation à ce tribunal. » Soutenus par ces. fidèles et fougueux auxiliaires, Philippe pouvait recourir à l’intimidation. Il aime mieux user de modération et de bonne grâce. On renvoie, par son ordre, la consulte primitive au conseil de Castille, en le priant de vouloir bien en rédiger une autre dont les termes soient complètement d’accord avec l’opinion de sa majorité. Ce que n’a pu opérer la pression officielle, la condescendance royale l’obtiendra sans difficulté. L’humeur castillane est pétrie d’orgueil farouche et de faiblesse chevaleresque. « La chose fui faite ainsi, ajoute le chevalier en terminant sa dépêche du 12 décembre, sans aucune difficulté et avec beaucoup de soumission de la part du président. »

« J’apprends avec plaisir, avait écrit Louis XIV à Bonnac, le

  1. Du Bourk à Torcy, le 12 décembre 1712.