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ambition effrénée et impatiente, qui se promène à travers les départemens de la France comme en pays conquis. On s’est plu jusqu’au dernier moment, il est vrai, à douter du succès de M. le général Boulanger. On a cru, on a voulu croire qu’après avoir échoué, il y a quelques semaines, dans l’Ardèche, il échouerait encore, le 19 août, dans sa candidature multiple devant un réveil de la raison publique. Il est certain que la médiocre issue du triste duel que l’ancien ministre de la guerre a eu le mois dernier avec M. le président du conseil ne semblait pas de nature à rehausser son prestige et à le populariser. Avec un peu de bonne volonté, on a pu supposer que cette étonnante fortune touchait déjà à son déclin, et on s’est même hâté un peu naïvement de voir un présage de ce déclin dans quelques manifestations d’hostilité qu’on a cru remarquer sur le passage du capitaine d’aventure transformé en candidat errant. Malheureusement, encore une fois, ce n’était qu’une illusion, une manière de se rassurer en se dissimulant une réalité importune. Le général Boulanger a beau être un soldat indiscipliné et relaps, se jeter étourdiment, avec une vanité tapageuse, dans toute sorte de mauvaises affaires, jouer avec tout, même avec ses électeurs, il n’en est ni plus ni moins pour ses candidatures, parce que ceux qui le nomment ne voient en lui que ce qu’ils veulent voir. Il s’est présenté, ce candidat à tout faire, dans la Charente-Inférieure, et d’un coup il a enlevé 15,000 voix de majorité. Il s’est présenté dans la Somme, où M. le ministre des affaires étrangères Goblet pouvait être censé avoir quelque influence, et il a trouvé une majorité de 35,000 voix. Il s’est présenté le même jour une seconde fois dans le Nord, où sa démission capricieuse du mois dernier pouvait être pour lui une cause de défaveur, il a été nommé plus que jamais ; et comme pour donner au scrutin du 19 août une signification plus accentuée, les électeurs du Nord ont nommé, en même temps que M. le général Boulanger, M. Koechlin-Schwartz, un républicain modéré, maire d’un des arrondissemens de Paris récemment révoqué par M. Floquet. Le grand crime de M. Kœchlin-Schwartz, à ce qu’il parait, était de s’être montré un jour poli et bien élevé dans son office de maire en recevant l’acte de mariage de la fille de M. le duc de Chartres avec le prince de Danemark : M. le président du conseil lui a enlevé un peu tard sa mairie, les électeurs du Nord ont répondu à M. le président du conseil en mettant M. Kœchlin-Schwartz à côté de M. Boulanger. De sorte que, tout compte fait, dans ce triple scrutin du 19 août, M. Floquet est directement, personnellement atteint, aussi bien que M. Goblet. Le général Boulanger passe à travers tout, portant ce drapeau bariolé où il a inscrit toute sorte de choses : dissolution, révision, consultation populaire, guerre aux impuissans parlementaires, — sans compter ce qu’on ne dit pas, ce qui est le secret des événemens.

Voilà ce qui en est pour le moment ! M. le général Boulanger est