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se laissait pas éblouir par la majesté des grands de la terre. Il regardait les princes dans les yeux, les jugeait et n’avait garde de les envier. Il se trouvait là quand, le 24 juin 1547, Charles-Quint sortit de Naumbourg pour se rendre au quartier d’assemblée. Une ondée étant survenue, il le vit retourner précipitamment son manteau et cacher dessous son couvre-chef de velours : « Pauvre homme, s’écrie-t-il, qui dépensait pour la guerre des tonnes d’or et qui recevait la pluie nu-tête, crainte de gâter ses nippes ! »

Sastrow n’était pas rigoriste en matière de mœurs, il l’était en matière de doctrine. Fanatique luthérien, il avait la sainte horreur des prêtres, qu’il traitait de séducteurs, de débauchés et d’ivrognes. Il y avait alors en Allemagne des disciples d’Érasme à qui les disputes théologiques causaient quelque dégoût, et qui pensaient qu’avec un peu de complaisance on pourrait s’arranger, qu’un prochain concile trouverait les termes d’un accommodement. Sastrow en a connu quelques-uns, entre autres un prévôt du chapitre de Spire, homme de bonne compagnie, qui vivait de bouillon de coq, mais tenait table ouverte et régalait son monde. Il aimait à entendre disputer ses convives, les uns tenant pour Luther, les autres pour le pape. Au moment de clore le débat, il avouait de bonne grâce qu’il avait lu plus souvent Térence que l’Épitre aux Romains. Sastrow goûtait médiocrement ce prévôt, il goûtait moins encore cet évêque de Wurtzbourg qui avait dit : « Je bénis le ciel de n’avoir point lu saint Paul ; cela m’a préservé de devenir hérétique. » Il n’aimait ni les débonnaires qui veulent tout concilier, ni les humanistes, ni les tièdes, et il reprochait à Mélanchthon lui-même de mettre trop d’eau dans son vin. Il se faisait un devoir de ne transiger sur rien. La plupart des hommes du XVIe siècle ont considéré la tolérance comme une criminelle faiblesse ; mais ils ont préparé son règne en mettant l’intolérance au service des opinions particulières.

Par une contradiction bizarre, mais fort commune, Sastrow était aussi conservateur en politique que révolutionnaire en religion. Il tenait pour les vieux usages, pour les vieilles coutumes, pour les vieilles mœurs, pour les lois anciennes, et s’il refusait d’obéir au pape, c’est qu’à ses yeux le pape était un intrus. Autant il détestait « la moinerie papiste, » autant il abhorrait les anabaptistes, les illuminés, les tribuns de toute sorte, « leur désordonnée séquelle et tous les hommes qui ont trente-six chats dans le corps. « Il y avait alors à Stralsund et dans les autres cités hanséatiques un parti radical fort remuant, qui s’insurgeait contre les autorités légitimes, courtisait la populace, la poussait aux entreprises, en lui promettant monts et merveilles. Sastrow considérait ces radicaux comme les esclaves et les suppôts de Satan. L’un des plus fameux fut ce Marx Meyer, grand démagogue de