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ses affaires, talonné par ses échéances : lui offrirez-vous, suivant la formule radicale, trois acres et une vache ? Est-ce qu’il ne croira pas à une mauvaise plaisanterie ? Est-ce que tout ne lui manque pas pour utiliser ces bienheureux acres de terre : le temps, la volonté, les bras, les connaissances, l’argent ? Est-ce que ces trois acres le sauveront de la faillite qui le menace pour la semaine prochaine ? On cherche le remède où il n’est pas, parce qu’on ne voit pas le mal où il est. Si le peuple comparait l’indigence de cette pauvre terre, qui succombe sous ses charges et n’en peut plus, avec les immenses richesses mobilières accumulées depuis un siècle par l’industrie, il saurait, et pour jamais, où est la véritable question sociale. C’est ce qui ne conviendrait guère à M. Chamberlain et aux autres capitalistes de son école, radicaux par égoïsme et socialistes par terreur.

Lord Randolph Churchill ne « partage » pas de terre au peuple, comme le Caïus Gracchus de Birmingham. D’abord, comme il l’a dit spirituellement, il ne possède pas en propre un seul arpent, et il n’est pas de ceux qui distribuent les terres d’autrui. Il voudrait que le paysan possédât sa maison. Aujourd’hui, il a deux maîtres, l’un auquel appartient le sol qu’il cultive, l’autre auquel appartient le cottage qu’il habite. Le premier est son protecteur naturel ; le second est d’ordinaire un spéculateur étranger, impitoyable et rapace : c’est de celui-là que lord Randolph Churchill veut le débarrasser. Il admet aussi que le paysan puisse acquérir la terre par son travail, et pour lui en faciliter les moyens, pour chasser du marché les intermédiaires qui l’exploitent, il propose d’assurer au cultivateur un droit de préférence pour l’achat du lot de terrain qu’il met en œuvre. Le transfert de la propriété foncière doit devenir plus simple et moins cher ; la misérable situation du propriétaire viager doit s’améliorer ; l’entail qui immobilise la terre dans les mêmes mains doit disparaître, à commencer par l’entail sur des existences encore à naître. Plus facile à acquérir, la propriété rurale sera aussi moins onéreuse à posséder, si on dégrève l’agriculture, non pas en créant de nouveaux impôts dont elle porterait, indirectement et en fin de compte, tout le poids, maison restreignant la dépense publique. Lord Randolph s’occupe aussi, s’occupe surtout, des ouvriers : ne sont-ils pas, et de beaucoup, les plus nombreux ? Il entend les installer, aux portes mêmes des grandes villes, dans des maisons pourvues de jardinets et dont ils auront la pleine et entière propriété. Jusqu’ici, les travailleurs de l’industrie sont campés dans nos sociétés modernes comme les barbares dans l’empire romain. Il faut que ce nomade inquiétant s’assoie, qu’il ait, comme les autres, un foyer, des traditions et un lendemain, en attendant