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doctrines. On l’accuse d’indiscipline : l’accusation a-t-elle beaucoup de portée ? Nos pères nous disaient, et nous répéterons à nos enfans, qu’il faut savoir obéir pour apprendre à commander. Il doit y avoir, dans le Selectœ, un « ancien, » peut-être plusieurs « anciens, » qui « avaient coutume de dire » une chose de ce genre. Avouons, entre adultes, que la maxime est lamentablement fausse. Il y a des hommes qui semblent faits pour le premier rang, d’autres pour le second ou le troisième. Quiconque obéit bien commandera mal. Réciproquement, c’est d’ordinaire par l’insubordination que les tempéramens nés pour l’autorité annoncent leur vocation.

Les variations politiques de lord Randolph Churchill forment un grief plus sérieux. Ces variations sont palpables. Protectionniste extrême, il est devenu un libre-échangiste conditionnel et mitigé. D’abord contraire à la réforme électorale, il s’y est rallié lorsqu’elle a été accompagnée d’un remaniement des circonscriptions, et il paraît aujourd’hui la considérer comme un bienfait. En matière de propriété, il a soutenu certaines motions avancées de sir Ch. Dilke, et il combat maintenant, avec raison, les mêmes tendances. En ce qui touche l’Irlande, il a été presque autonomiste : il est, à présent, unioniste intraitable. En ce qui touche l’Asie centrale et les rapports de l’Angleterre avec la Russie, il a soufflé le froid et le chaud, prêché la paix et la guerre. En ce qui touche l’Égypte, il s’est arrêté successivement à toutes les solutions : non-intervention, protectorat, annexion. Au début, l’aventure égyptienne était une « misérable et honteuse spéculation, une guerre d’actionnaires. » Depuis l’avènement des tories, « l’Angleterre a, dans la vallée du Nil, des intérêts à faire respecter : elle saura les défendre. » — « Si nous restons en Égypte, nous aurons l’Europe sur les bras ; — si nous quittons l’Égypte, que dira l’Europe pour laquelle nous montons là-bas une faction, au nom de l’humanité et du progrès ? » Suivant les besoins, suivant les dates, le canal de Suez est, ou cesse d’être, la route des Indes. Si lord Randolph a dénombré les trente-sept politiques de M. Gladstone, je ne serais pas très embarrassé de compter les cinquante politiques de lord Randolph.

Hé bien ! en dépit de ces contradictions qui tiennent au jeu des affaires humaines, à la fluctuation indéfinie des intérêts, à leurs combinaisons incessamment changeantes, je maintiens que le caractère politique de lord Randolph Churchill est un des plus nets, un des plus fermes, un des mieux assis de notre temps. Ce n’est pas dans les moyens employés, mais dans le but à atteindre qu’on doit chercher l’unité d’un homme d’état. Tout tend, chez lord Randolph, à la création d’une démocratie conservatrice. Il a dit un jour : « Le parlement peut se tromper, les journaux peuvent se tromper,