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chrétiens. Mais les juifs ? demandera-t-on. Vous connaissez mal lord Randolph si vous le croyez embarrassé de justifier l’admission des juifs. Les juifs croient en Dieu ; les juifs ne sont séparés de l’arianisme que par un degré : or « il s’en est fallu de l’épaisseur d’un cheveu que nous ne fussions ariens. » D’ailleurs, que M. Gladstone ne l’oublie pas, la race juive est punie, mais non déchue : elle n’a pas été dépossédée de ses magnifiques privilèges intellectuels. Après avoir traversé de longs âges d’expiation, elle sera un jour, — c’est la doctrine orthodoxe, — pardonnée et réconciliée ; elle rentrera dans la communion chrétienne, comme elle est déjà rentrée dans l’égalité sociale et politique.

Ce théologien parlementaire, qui semble prêt à « lâcher » le Saint-Esprit pour mieux accabler Bradlaugh, peut paraître assez étonnant. Mais jetez les yeux autour de vous. Regardez ces ogives aux vitraux coloriés, ce baldaquin gothique sous lequel se tient le président, cette salle de forme allongée comme une basilique, sans parler du chapelain, qui est venu dire la prière au début de la séance. Comparez un pareil lieu avec nos salles entourées de gradins semi-circulaires et dominées par deux rangs de loges. Évidemment, c’est un théâtre qui, chez nous, a servi de modèle, tandis que le parlement anglais est né dans une église. Tant que les deux peuples vivront, leurs assemblées politiques se ressentiront de cette origine. Comédiens en-deçà de la Manche, prêcheurs au-delà.

Aussi n’est-ce pas une vaine étiquette parlementaire, un pur détail de forme que lord Randolph Churchill défend dans son discours. Il laisse ces inquiétudes et ces scrupules aux Bridoisons de Westminster. Ce qu’il veut élever au-dessus de la discussion, c’est le caractère religieux des délibérations du parlement. « Ce caractère n’appartient à aucune autre nation, si grande, si libre qu’elle soit ; et je ne sais si la prospérité sans exemple du peuple anglais, sa longue durée, la grandeur qui lui est encore, je le crois, réservée dans l’avenir, ne sont pas liées, en quelque sorte, au caractère religieux de notre constitution. » Ici l’accent devenait profond, solennel, sévèrement enthousiaste, presque majestueux, en même temps qu’il était parfaitement pur d’afféterie dévote. Il retentit dans les âmes, entraîna les votes, et la puissance du jeune orateur grandit d’autant.

Depuis le jour où il avait arraché, pendant un instant, à sir Stafford Northcote, la direction du parti conservateur, l’attention du public s’était portée sur lui ; elle ne le quitta plus. Il avait pour lieutenans un légiste, M. Gorst, et un diplomate, sir Henry Drummond Wolff, auxquels se joignait quelquefois M. Balfour. Petit état-major sans soldats, redoutable, pourtant, par les talens et l’activité de ceux qui le composaient. Je vois, dans un speech de lord