Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 89.djvu/148

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’expérimentateur de génie vit en outre que, par l’inoculation définitive de ce dernier virus, dont la période d’incubation est fixe et relativement courte, il était possible de rattraper, de dépasser même dans sa marche, généralement plus lente, la rage inoculée par la morsure des animaux, et de faire en sorte que celle-ci, le moment de son explosion étant venu, trouvât l’organisme déjà rendu réfractaire par une rage plus virulente et plus rapide. Tel fut le principe de la méthode pour prévenir la rage après morsure, suivant la dénomination acceptée, rigoureusement exacte d’ailleurs, que M. Pasteur, après l’avoir essayée avec succès sur les chiens, appliqua pour la première fois à l’homme, le 6 juillet 1886, sur un enfant de quinze ans, le jeune Joseph Meister, qui avait été cruellement mordu en terrassant un chien enragé qui venait de se jeter sur ses petits camarades. L’enfant fut sauvé.

Ce qu’il y avait d’absolument nouveau dans cette méthode, ce qu’aucune des données précédemment acquises sur l’action des microbes ne faisait prévoir, c’était la possibilité d’enrayer les progrès d’une maladie dont l’individu mordu portait déjà les germes, c’était la réalisation d’une vaccination, non-seulement préventive, mais d’une vaccination doublée d’un traitement, d’une vaccination curative.

Depuis cette époque, les vaccinations antirabiques ont été pratiquées sur une vaste échelle, tant au laboratoire de la rue d’Ulm que dans les nombreux instituts créés à l’étranger sur son modèle ; et on peut dire qu’en dépit des attaques violentes et injustifiées dont elles ont été l’objet, leur efficacité est absolument démontrée par la grande proportion des mordus, qui, partout, échappent à l’horrible maladie.

Mais si la pratique de la vaccination est admirablement réglée,. la théorie en est encore absolument inconnue. Le virus inoculé avec ce liquide, dans lequel on triture des parcelles de moelle rabique desséchée, est-il encore vivant, et seulement atténué par l’action progressive de l’air ? Est-il mort au contraire, et la vaccination est-elle seulement le résultat de l’action des produits sécrétés par les-microbes plus ou moins modifiés par la dessiccation ? On n’en sait encore rien, et bien que des expériences toutes récentes aient rallié M. Pasteur à l’idée d’un vaccin chimique, ce ne sera là qu’une hypothèse, tant qu’on n’aura pas cultivé le microbe de la rage hors de l’organisme.

C’est la vaccination contre la rage qui a valu à M. Pasteur sa popularité ; et certes jamais la popularité ne s’est adressée à un plus digne. Cependant, l’œuvre antérieure de M. Pasteur est telle, qu’on pourrait en retrancher ses travaux sur la rage sans que sa gloire fût diminuée. Mais elle en sera peut-être encore rehaussée aux yeux de ceux qui admireront surtout la foi