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bouche en mâchant des fourrages piquans, souillés de spores. Pour M. Koch, ce mode de pénétration n’était que l’exception, et ce serait dans l’intestin que les spores, ingérées avec les herbages, germeraient et pénétreraient dans l’organisme par les voies d’absorption naturelles. Enfin, la surface pulmonaire peut aussi, bien que plus rarement, être une des portes d’entrée de la maladie charbonneuse. Chez l’homme, enfin, nous avons dit que c’étaient les blessures ou les piqûres de la peau qui constituaient la porte d’entrée habituelle, bien qu’on ait constaté aussi du charbon intestinal, à la suite de l’usage alimentaire de viandes charbonneuses.

Quant à la façon dont le microbe du charbon agit dans le corps des animaux, et au procédé par lequel il entraîne leur mort, l’explication la plus vraisemblable, très séduisante en même temps par sa simplicité, est celle qui a été proposée par M. Pasteur et par M. Bollinger. La bactéridie charbonneuse est très aérobie, et, dans son conflit avec les globules du sang, elle doit leur enlever l’oxygène dont ils sont porteurs, et en priver ainsi les tissus, qui subissent, dès lors, une asphyxie généralisée. Le sang des animaux morts charbonneux, extrêmement noir, a bien en effet l’aspect d’un sang asphyxique. Peut-être aussi faut-il invoquer l’existence de produits toxiques, de ptomaïnes, élaborés ou sécrétés par les microbes. Dans tous les cas, la mort de l’animal infecté est bien la conséquence des phénomènes chimiques qui résultent de la vie de la bactéridie charbonneuse, absolument comme la fermentation alcoolique est la conséquence des phénomènes chimiques qui surviennent dans un liquide sucré sous l’influence d’un autre microbe, la levure.

Le microbe du charbon, en même temps qu’il est très avide d’oxygène, est très sensible aux températures élevées. Tandis qu’on peut soumettre le sang charbonneux à un froid de — 45 degrés pendant plusieurs heures sans tuer les bactéries, une température de 41 à 42 degrés en empêche le développement. Cette particularité inspira à M. Pasteur une expérience bien élégante. En effet, certains animaux sont réfractaires au charbon : les chats, les chiens, les renards, et surtout les oiseaux, dont la température est très élevée, et les amphibies, dont la température, étant à peu près celle du milieu ambiant, est au contraire relativement basse. Or, pour montrer que c’est l’excès de la chaleur qui s’oppose au développement du charbon chez la poule, dont la température est de 41 à 42 degrés, M. Pasteur imagina de refroidir cet oiseau en lui maintenant le ventre et les pattes dans l’eau, et lui fit ainsi contracter le charbon. Par un procédé inverse, M. Gibier parvint à donner le charbon à des grenouilles et à des poissons, en les faisant vivre dans une eau portée à 35 degrés. Ainsi, en refroidissant les poules ou en réchauffant des animaux à sang froid, on obtient la démonstration du degré de