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vingt-quatre heures déjà, ce bouillon était devenu trouble, et se montrait peuplé de longs filamens, les uns transparens et homogènes, les autres inégalement réfringens et contenant des spores dans leur épaisseur.

Les figures données par ce microbe, lorsqu’on le colore par des couleurs d’aniline, le violet de Paris, la fuchsine ou le bleu de méthyle, en solution aqueuse ou alcoolique, sont des plus curieuses à examiner : d’abord, elles sont d’une grande netteté, car la bactéridie du charbon est véritablement, comme on l’a dit, le géant des microbes, et, dans ses cultures, ne mesure pas moins de 1 millième à 1 millième 1/2 de millimètre en épaisseur, pour une longueur qui varie de 3 à 10 millièmes de millimètre ; et, de plus, on peut, à l’aide de certains artifices, colorer le bâtonnet d’une couleur, en bleu, par exemple, tandis que les spores qu’il renferme sont teintées en rouge, ce qui donne des préparations tout à fait élégantes.

Un premier bouillon étant ainsi chargé de ces micro-organismes, MM. Pasteur et Joubert, procédant alors comme ils avaient fait pour le choléra des poules, y puisèrent une gouttelette de culture, avec laquelle ils ensemencèrent un deuxième flacon, puis, avec celui-ci, un troisième flacon, avec le troisième un quatrième, et ainsi de suite, afin qu’on pût être assuré que dans la vingtième culture, par exemple, il ne restait certainement aucune parcelle de la goutte de sang primitivement empruntée à l’économie de l’animal charbonneux. Et cependant une trace de cette vingtième culture, inoculée à un mouton, le faisait mourir absolument comme si on lui avait inoculé directement le sang d’un animal mort du charbon spontané.

La preuve ainsi faite, d’une manière irrécusable, que le charbon est toujours et uniquement dû à la pénétration, dans le corps des animaux, du microbe du charbon ou de ses spores, M. Pasteur et deux de ses collaborateurs, MM. Chamberland et Roux, travaillèrent à rechercher le mécanisme habituel de cette pénétration, et parvinrent à donner l’explication de certains faits mystérieux en apparence, celui des champs maudits de la Beauce, par exemple, où l’on ne pouvait mener paître un troupeau sans que le charbon le décimât. Or, il fut constaté que, dans ces champs, des cadavres d’animaux charbonneux avaient été enfouis, et M. Pasteur prouva que les vers de terre étaient les messagers qui, des profondeurs de l’enfouissement, ramenaient à la surface du sol les terribles parasites. Une fois la présence du parasite démontrée et expliquée, sa pénétration dans le corps des animaux pouvait se concevoir de diverses façons, qui, toutes fort vraisemblables d’ailleurs, furent vérifiées par l’expérimentation. Pour M. Pasteur, le mode le plus fréquent de la contamination était dû aux blessures que les moutons se faisaient à la