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connaissance. Il s’y refusa, déclarant qu’il renonçait à un emploi de nature à aliéner en quoi que ce fût son indépendance comme journaliste.

Il n’en fallut pas davantage pour lui rallier les sympathies et assurer au Times un chiffre considérable d’abonnés, l’indépendance absolue et avérée d’un journal étant sa première condition de succès, son moyen d’action le plus indiscutable sur l’opinion. Battu de ce côté, le ministère anglais tenta de prendre sa revanche d’un autre. On était alors au plus fort de la lutte contre Napoléon Ier. Le public s’arrachait les feuilles où il trouvait des nouvelles du continent. Le Times, bien renseigné par ses correspondans d’outre-Manche, était le premier à donner à ses lecteurs des informations précises sur la marche des armées, les opérations de guerre et les alliances politiques qui se nouaient et se dénouaient entre les principales puissances. La presse ministérielle ne jouissait que d’un médiocre crédit ; on lui reprochait de dissimuler les nouvelles fâcheuses, d’exagérer celles qui étaient favorables, de colorer à sa guise les événemens dont l’Europe était alors le théâtre. Recourant à des procédés trop fréquens, mais toujours inutiles, le gouvernement anglais donna ordre de ne plus remettre directement aux agens du Times, qui accostaient au large de Gravesend les navires arrivant du continent, les dépêches et les journaux adressés à son éditeur, mais de les faire tenir à l’administration des postes. On retardait ainsi de douze à vingt-quatre heures la publication des nouvelles dans le Times ; puis, sur les réclamations de J. Walter, on lui fit entendre, une fois de plus, que l’on pourrait, sur sa demande et à titre de faveur, révoquer cette mesure. Il comprit ce que l’on attendait de lui en échange, maintint son droit, déclina toute faveur, para de son mieux aux tracasseries dont il était l’objet et qui lui valurent une recrudescence de lecteurs et de popularité.

En même temps, par ses offres libérales, il s’assurait le concours des meilleurs écrivains anglais, substituant au système du paiement à la ligne celui du paiement à l’article, allouant un prix aussi élevé pour les entrefilets courts, mais substantiels, que celui accordé aux articles longs et délayés qui lassaient la patience du lecteur, et dans lesquels les auteurs, se conformant aux traditions de leurs devanciers, s’ingéniaient à faire montre d’une érudition laborieuse et pesante.

Les feuilles publiques s’imprimaient encore à la main, et, jusqu’en 1814, le tirage d’un journal ne dépassait guère 450 exemplaires à l’heure. C’est tout au plus si l’on pouvait livrer à la circulation 3,000 ou 4,000 copies par jour, chiffre insuffisant quand le journal publiait le récit d’événemens tels que les batailles