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italiens la prolongation d’un régime commercial onéreux. La question serait de savoir si cette politique de puérile et gratuite hostilité contre la France que représente M. Crispi est bien faite pour servir l’Italie nouvelle.

Que de formes prend la vie universelle ! que d’épisodes plus intéressa n 3 que les querelles mesquines et vaines d’une diplomatie tapageuse, dans ce vaste drame où sont entraînées toutes les nations, non-seulement en Europe, mais sur tous les points du globe ! C’est partout aujourd’hui, aux extrémités de l’Orient comme dans l’Occident, que s’agitent les conflits d’influence au dénoûment encore inconnu, et, on en conviendra bien, la prise de possession de Zula par M. Crispi a un peu moins d’importance que le chemin de fer russe inauguré il y a deux mois à peine, reliant, à travers les déserts de la Tourkménie, la mer Caspienne à Samarcande. C’est que là, en effet, au cœur de l’Asie, s’accomplit jour par jour un des événemens les plus curieux, les plus saisissans de la politique contemporaine, l’extension indéfinie de la Russie, allant toujours vers l’est, au risque de se rencontrer avec l’Angleterre aux frontières de l’Inde, et cette locomotive, récemment lancée à travers les steppes tourkmènes, semble n’être que l’image ailée du progrès incessant de la puissance russe.

Ce n’est point en un jour et du premier coup, assurément, que la Russie a réalisé cette vaste conquête de l’Asie centrale, où elle règne aujourd’hui en souveraine. Il y a plus d’un siècle qu’elle poursuit son œuvre, souvent sans bruit, toujours sans se lasser et sans se détourner de son but, comme si elle se sentait entraînée par une fatalité vers l’Orient. Elle a suivi point par point ce singulier testament de Pierre le Grand qui lui a tracé sa voie, et qui, tout apocryphe qu’il soit, ne s’exécute pas moins. Elle ne s’est pas hâtée d’abord, peut-être même n’a-t-elle eu que par degrés, à mesure que les événemens se sont déroulés, la pleine conscience de ce qu’elle voulait et de ce qu’elle pouvait. C’est surtout, on pourrait dire, depuis la guerre de Crimée et particulièrement dans les vingt-cinq dernières années, qu’elle a précipité sa marche, profitant des agitations ou des confusions de l’Europe, ne perdant jamais de vue le Bosphore, mais en même temps tournant ses regards vers la Perse, vers l’Inde, et s’avançant toujours. Même dans les conditions relativement favorables que pouvaient lui créer les diversions qui absorbaient l’Europe, la Russie n’a pas sans doute trouvé tout facile dans sa marche : elle a eu à vaincre bien des obstacles, l’immensité des déserts, la résistance de peuplades guerrières, fières de leur indépendance, et les chefs militaires, les Pérowski, les Tchernalef, les Lomakine, les Markozof, n’ont pas toujours réussi dans les entreprises qu’ils avaient à conduire. Leurs expéditions ont été quelquefois assez malheureuses, même