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conseillers municipaux figurant dans le cortège. Et qui était celui à qui on rendait ces honneurs funèbres ? C’était un de ceux qui allumèrent les incendies. Paris, non sans une certaine anxiété, a revu tout cela, et, après la paix sociale, après la paix de la cité, la république elle-même n’est pas peut-être la moins menacée par les exhibitions que le règne du radicalisme a rendues possibles. Ce n’est qu’une « journée, » dira-t-on, et M. le président du conseil a pourvu à tout. Il ne faudrait pas beaucoup de journées semblables pour épuiser le règne de M. Floquet, en montrant où conduisent les connivences révolutionnaires, même tempérées par quelques répressions de circonstance !

Ce qu’il y a de plus triste, de plus grave, c’est que cette politique de passions radicales se mêle à tout, même à ces grèves du jour, qui ne sont plus de simples grèves, qui ne sont qu’une agitation révolutionnaire fomentée et entretenue par des meneurs le plus souvent étrangers aux affaires du travail. Il y a quelques semaines, ce sont les terrassiers qui ont donné le signal. Bientôt la contagion a gagné les ouvriers d’autres industries, les garçons limonadiers, les garçons coiffeurs, qui sait encore ? Le mouvement n’est pas resté circonscrit dans Paris, il s’est étendu à la province, à Lyon, à Saint-Étienne, à Amiens, et partout c’est le même mot d’ordre. Il ne s’agit plus seulement de débattre des conditions de travail et de salaire, qui ne sont que des prétextes pour les meneurs ; il s’agit d’ouvrir la guerre contre le patronat, contre le capital, de former l’armée de la révolution sociale, de la dresser au combat par les manifestations. On a commencé d’abord assez pacifiquement ; on n’a pas tardé à passer à l’action. À Paris, on a envahi les chantiers, brisé les glaces des cafés, essayé de saccager quelques bureaux de placement ; à Amiens, on a fait mieux, on a pillé et incendié une usine. Bref, le désordre est devenu tel qu’il a fallu mettre sur pied la police, la garde républicaine, les gendarmes et même les troupes régulières, pour défendre la sécurité publique et la liberté du travail. On a fini par se décider à réprimer un peu tardivement, non sans hésitation, des agitations qu’on aurait pu sans doute prévenir avec un peu plus de fermeté au début. Tout cela a certes sa gravité ; et ici encore, qui donc a préparé ces scènes, aussi dangereuses pour l’industrie que pour la paix publique ? Qui donc a donné aux émeutes grévistes leurs mots d’ordre, leurs chefs, leurs cadres, le centre officiel de la bourse du travail, dont M. Floquet n’a fermé un instant la porte qu’en la laissant entre-bâillée ? Qui a encouragé les revendications socialistes des ouvriers ? Le gouvernement, le conseil municipal de Paris, voient aujourd’hui se relever contre eux tout ce qu’ils ont fait, les espérances qu’ils ont excitées, qu’ils ne pourront jaunis satisfaire.

Elus finiront sans doute, elles ne tarderont pas à finir, ces grèves