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mathématique, tout cela m’étourdit, m’anéantit et ne me touche point. In gloria Dei patris ! Non, non, je ne me figure pas Dieu le père dans une pareille gloire ! Entendre auprès de lui certaines mesures à voix nue, presque sans accompagnement, aussi désagréables que certain point d’orgue vocal de la neuvième symphonie ! Entendre ces si bémol tenus avec une cruauté impitoyable, et ces Amen rabâchés durant douze pages ! Ainsi soit-il, dites-vous ! Oh ! non, qu’il n’en soit pas ainsi !

Il est encore une autre partie de la messe qui nous échappe ; c’est la fin : le Dona nobis pacem. Beethoven avait, dit-on, inscrit en tête : Darstellend den innern und aüssern Frieden, expression de la paix intérieure et extérieure. Mais le morceau ne répond point à ce titre, à ce commentaire. Comme le finale de la neuvième symphonie, celui-ci nous déroute. La paix ! la paix ! répète constamment le texte, sans que la musique l’exprime ou la demande. La paix extérieure ! Une fanfare de trompettes, les appels pathétiques des voix, le trémolo de l’orchestre, tout cet épisode, le seul vraiment beau de la péroraison, veut sans doute représenter les menaces de la guerre ; mais bientôt le chœur reprend, sec, monotone, sans onction ni pitié, coupé par une page d’orchestre seul, toute hérissée de trilles inexplicables. On a parlé à ce propos du finale de la symphonie pastorale. Mais qu’on en est loin ici ! C’est dans ce dernier que nous verrions la véritable image de la paix et de la joie, de cette paix et de cette joie universelles que devaient souhaiter pour toute l’humanité l’âme généreuse et la noble pensée de Beethoven. Le voilà, le grand concert d’amour que lui faisait entendre son génie. Quelques paysans, dira-t-on, joyeux de voir finir un orage, et rien de plus. Oh ! si, beaucoup plus : l’univers entier heureux pour l’éternité.

Ces longueurs, ces obscurités de la messe en ré peuvent s’expliquer. Beethoven vieillissait lorsqu’il écrivit son œuvre, et de plus il était sourd. Il avait perdu avec le sens de l’ouïe le contrôle nécessaire de ses créations intérieures. L’homme, a-t-on dit, est une intelligence servie par des organes ; le génie de Beethoven était alors desservi par les siens. Il le sentait bien, le pauvre maître, le jour où, se promenant avec son ami Schindler le long du ruisseau où il avait trouvé l’andante de la symphonie pastorale, il écoutait avidement, hélas ! sans les entendre, les oiseaux d’autrefois.

Mais que les taches de la messe en ré ne nous en cachent point la splendeur ; qu’elles se perdent plutôt dans le rayonnement général d’une œuvre telle, qu’un seul homme a jamais été capable de la concevoir et de l’exécuter !

Kyrie eleison ! Christe eleison ! Seigneur, Christ, ayez pitié ! Que ce début de la messe catholique est significatif ! Comme il indique, dans la conception chrétienne, la souveraineté d’une idée primordiale :