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en Angleterre, en France, plus récemment ailleurs, n’ait pas puissamment aidé aux voyages de découvertes et à la prise de possession du monde ! Ce que je veux démontrer, c’est que, parmi les attributions que certains théoriciens étourdis revendiquent pour lui comme un monopole, il en est beaucoup qui ont pu et qui peuvent encore être exercées de la façon la plus heureuse par les groupemens libres, soit des hommes riches, soit des hommes instruits, soit des hommes dévoués, soit des hommes curieux, soit de ceux qui mettent en commun une parcelle de richesse, de dévoûment, d’instruction et de curiosité.

Bien loin que l’état soit à l’origine de toutes les grandes œuvres d’utilité générale, on constate, au contraire, historiquement, que les associations libres ont constamment prêté leur outillage à l’état pour les services les plus incontestablement dévolus à ce dernier. L’état pendant longtemps, beaucoup d’états même aujourd’hui, dans une certaine mesure encore l’état français, n’ont pas su ou ne savent pas faire rentrer leurs impôts. De là ces compagnies privées, ces fermes qui se chargeaient de recouvrir les contributions sous l’empire romain, dans la vieille France, sous nos yeux encore pour certaines taxes en Espagne, en Serbie, en Roumanie, en Turquie, hier en Italie et en Espagne, que dis-je ! dans beaucoup de communes françaises, qui trouvent plus économique d’affermer leurs droits d’octrois que de les percevoir elles-mêmes.

L’exposé historique auquel nous nous sommes livrés laisse, sans doute, subsister une grande difficulté : puisque la plupart des attributions, aujourd’hui considérées comme essentielles à l’état, ne lui ont pas appartenu primitivement, qu’elles sont restées longtemps dans la main de particuliers ou d’associations libres, qu’elles ne sont échues à l’état que graduellement par la lente application du principe de la division du travail, la grande collectivité, armée du pouvoir de contrainte, étant plus capable de les généraliser que les petites collectivités spontanées et variables qui ne possèdent guère que le pouvoir de persuasion, comment fixer, soit dans le présent, soit dans l’avenir, la limite des attributions de l’état ? Ce même exposé historique, cependant, va nous y aider en nous faisant mieux connaître les caractères généraux de l’état.

La première observation dont il est impossible de n’être pas pénétré, c’est que l’état est absolument dépourvu de l’esprit d’invention. L’état est une collectivité rigide, qui ne peut agir qu’au moyen d’un appareil très compliqué, composé de rouages nombreux, subordonnés les uns aux autres ; l’état est une hiérarchie, soit aristocratique, soit bureaucratique, soit élective, où la pensée spontanée est assujettie, par la nature des choses, a un nombre prodigieux de contrôles. Une pareille machine ne peut rien inventer. L’état, en