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Telle est la réponse que Louis adressa, en quelques lignes, au roi d’Espagne, le 13 juin 1712 ; un compliment, un simple regret, et ce fut tout. La veille, il avait écrit au marquis de Bonnac :

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« Lorsque toutes les représentations qui ont été faites & mon petit-fils se trouvent inutiles, que son intérêt même n’est pas capable de le persuader et que l’attachement qu’il a pour ses sujets l’emporte sur toute autre considération, je veux croire que Dieu, qui l’a appelé à régner en Espagne, ne veut pas qu’il en sorte, et que ce serait agir contre l’ordre de la Providence que de renouveler sur ce sujet des instances désormais inutiles. »

Toutefois, de vagues soupçons ont pénétré dans l’esprit méfiant du vieux monarque. Il n’a pas oublié les révélations que lui a faites, il y a quelques mois à peine, son représentant en Espagne, sur les ambitions secrètes de son petit-fils. Est-il possible qu’un homme sensé, dans les veines duquel le généreux sang des Bourbons coule à pleins bords, renonce ainsi de gaîté de cœur, sans arrière-pensée, à ce qu’il y a de plus magnifique et de plus grand dans ce monde, à la couronne de France embellie, agrandie, ennoblie par Louis XIV ? On suspecte à la cour la sincérité du roi d’Espagne, et le langage ambigu du comte de Bergueick fortifie ces fâcheuses conjectures. On prétend que la renonciation de Philippe V est limitée par des clauses secrètes, tout au moins par des réserves mentales ; que, s’il a renoncé définitivement au trône de ses ancêtres, en faveur du duc de Berry, il est résolu à ne point permettre que son cousin, le duc d’Orléans, qui a conspiré jadis contre lui en Espagne, gouverne jamais la France ; que si, un jour, son frère et son neveu viennent à disparaître, il franchira les Pyrénées et viendra certainement réclamer ses droits. On dit encore que Louise-Marie, dont la volonté dicte les décisions de son époux, désavoue le sacrifice auquel il a consenti, et que, sensible avant tout aux intérêts de sa maison, avide d’honneur et de gloire, elle espère encore voir son père gouverner l’Espagne, tandis qu’elle régnera elle-même sur la France et la Savoie.

Interrogés par Louis XIV et par Torcy, Bonnac et Mme des Ursins protestent contre de telles suppositions.

« Le roi d’Espagne m’a répété dix fois de suite qu’il n’avait jamais songé à ces restrictions, et il m’a certainement dit la vérité, » écrit Bonnac au roi, le 11 juillet. Trois semaines plus tard, il supplie, à nouveau, Philippe de lui faire connaître nettement ses projets, et il lui demande ensuite la permission de lui lire la dépêche par laquelle il en rend compte à Torcy : « Je pris ma minute dans ma poche et je commençai à la lire. Je disais, pour me résumer, qu’il