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et de délibérer. Mon affection pour les Espagnols, la connaissance des obligations que je leur ai, les fréquentes expériences que j’ai faites de leur fidélité, et la reconnaissance que je dois avoir pour la Providence divine pour m’avoir placé et maintenu sur le trône et donné des sujets si illustres et d’un si haut mérite, furent les seuls motifs et les seules raisons qui eurent accès dans mon esprit et influèrent dans ma résolution, laquelle, lorsque je l’eus fait connaître, ne demeura pas sans être combattue par d’autres propositions et avantages qu’on me voulait faire envisager comme plus considérables que ceux qui m’avaient déterminé. Mais tout cela n’a servi qu’à m’affermir dans mon dessein et à me mettre en état de pousser et terminer cette affaire, afin qu’il n’y ait rien qui ne puisse plus m’empêcher de vivre et de mourir avec mes chers et fidèles Espagnols…

« Moi LE Roi. »


Il y avait sans doute, dans ces royales et généreuses assurances, plus d’une expression, plus d’une allusion qui firent froncer quelque peu les sourcils olympiens de Louis XIV et qui sonnèrent assez désagréablement aux oreilles de Bonnac, quand il les entendit retentir sur les places publiques de Madrid. Mais, lorsqu’il les vit, de ses propres yeux, imprimées, signées du sceau royal, affichées sur les églises et les palais, il se sentit enfin délivré des inquiétudes mortelles que n’avaient pu dissiper entièrement les assurances verbales de Philippe V. Son émotion, péniblement accrue par le sentiment de l’accablante responsabilité qui pesait sur lui, par la crainte d’encourir la redoutable colère de son maître, dont la confiance à son égard s’était exprimée dans des termes si solennels et si sévères, avait été vive et cruelle. On peut croire qu’elle ne fut pas étrangère à la maladie dangereuse qui le tint, pendant plusieurs semaines, éloigné de Madrid, et qui faillit priver la France d’un de ses bons serviteurs.

« Ma maladie est une fièvre double quarte qui a été violente et même très dangereuse les premiers jours… Mais le danger est passé ; il n’y a que la faiblesse qui reste et le dégoût. J’ai perdu entièrement le goût pour le café et le tabac ; il y a aujourd’hui cinq semaines que cela dure, c’est-à-dire que j’ai été malade pendant les plus cruelles chaleurs de ce pays-ci[1]. »

La capitale affaire des renonciations n’était pas terminée. Elle avait fait un grand pas sans doute ; mais Louis XIV attendait encore, de son envoyé en Espagne, plus d’une démarche difficile, plus d’un pénible effort. Il était important que le marquis de Bonnac

  1. Bonnac à Torcy, 29 août 1712. (Archives des affaires étrangères.)