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territoire en Italie, » qu’on ne lui restituera pas Gibraltar, et que le gouvernement anglais produira des exigences dont la satisfaction ruinera fatalement le commerce espagnol ? Comme il commence à développer cette argumentation qu’il jugeait de nature à effrayer l’imagination du jeune roi et à modifier ses intentions, celui-ci coupe court brusquement à sa nouvelle harangue en lui déclarant d’un ton décidé « que, s’il n’avait d’autres motifs que ceux de ses inclinations,.. il prendrait d’autres résolutions, mais qu’il ne se conduisait uniquement, en cette occasion, que par l’idée qu’il avait de l’intérêt des deux couronnes. » Il ajoute qu’il fera connaître dans la soirée, au représentant de son aïeul, sa résolution définitive, et lui fait signe de se retirer.

Mme des Ursins était restée présente pendant toute la durée de cette mémorable entrevue ; il lui importait essentiellement, dans les circonstances, de ne pas déplaire à Louis XIV ; aussi, quoiqu’en réalité elle fût parfaitement d’accord avec Philippe, avait-elle paru ne pas désapprouver les discours du marquis. Elle avait même été plus loin, voulant plaider, elle-même, sa propre cause devant le ministre du roi de France, et acquérir, à ses yeux, de nouveaux mérites : « Mme des Ursins a fortifié mes représentations et a parlé certainement avec beaucoup d’esprit et de zèle ; mais rien n’a été capable d’ébranler Sa Majesté catholique… Je crains bien, écrit tristement Bonnac, à la fin de la longue dépêche, qu’après avoir eu quelque succès dans des choses très difficiles auprès du roi d’Espagne, je n’échoue présentement que j’ai moins à combattre ses véritables intérêts que son goût et des passions particulières qui se réveillent à l’occasion des changemens proposés. »

Philippe, en effet, après avoir accompli pieusement ses dévotions et médité, pendant un temps convenable, dans sa chapelle, le fit appeler, dès le soir même, pour lui déclarer nettement et définitivement, cette fois, qu’il maintenait sa décision. Il ajouta cependant, après quelque hésitation, que, tout en maintenant ses prétentions sur l’Italie et sur Gibraltar, il n’en ferait pas un obstacle à la conclusion de la paix[1].

C’était une demi-victoire. Le marquis de Bonnac avait dans sa poche le pli mystérieux que lui avait confié Louis XIV et dont il ne devait se de faire qu’à la dernière extrémité. Pendant que Philippe lui faisait part de ses scrupules et se refusait encore à s’expliquer positivement sur l’Italie et sur Gibraltar, il avait été sur le point de le lui remettre. Ses vives instances qu’il se borne, d’ailleurs, à mentionner dans sa seconde lettre du 29 mai, sans donner aucun détail précis sur son dernier entretien avec Philippe, — « les circonstances

  1. Deuxième dépêche adressée par Bonnac à Louis XIV le 29 mai 1712.