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Saint-Évremond, pour remercier cet autre vieil homme d’avoir très fort maltraité l’Alexandre du jeune Racine. Corneille alors s’est aperçu qu’en réalité, comme le disait son apologiste, l’amour et la galanterie, dans Horace, dans Cinna, dans Polyeucte, ou dans Nicomède, ne servaient guère que d’ornement. Et cependant, si l’on y voulait regarder d’un peu près, que resterait-il de Polyeucte sans Pauline, et du caractère de Pauline sans Sévère ? de Cinna sans Emilie ? d’Horace même sans Camille ni Sabine ? Car enfin, où serait l’héroïsme d’Horace, s’il n’était pas le mari d’une sœur des Curiaces ou si sa propre sœur n’était pas la fiancée de l’un d’eux ? Mille autres, avant et depuis lui, sont morts pour la patrie, sans en faire tant de fracas ? Et Don Sanche, et Rodogune, et Théodore, et le Cid, — pour ne rien dire de toutes ses comédies, depuis Mélite jusqu’au Menteur, — est-ce que l’amour ou la galanterie ne les remplissent pas ? Tellement, que sans l’amour elles fondraient tout entières, qu’il n’en demeurerait seulement pas le squelette, que Corneille n’eût jamais conçu peut-être l’idée de les traiter. Disons donc, pour être vrai, qu’il y a autant d’amour dans les tragédies de Corneille, ou du moins autant d’intention d’y en mettre, que dans les tragédies de ces « doucereux » dont il se moquait, mais cependant dont il était lui-même. Seulement, il y avait autre chose ; et puis, et surtout, ce bon père de famille, magistrat et notable habitant de Rouen, à défaut de la « passion » comme nous l’entendons aujourd’hui, n’a pas connu l’amour, ce qui est pourtant utile pour le peindre. En revanche, et à mesure qu’il s’éloignait davantage du temps où il eût pu le connaître, en entendre du moins conter quelque chose, il s’en faisait des idées plus bizarres, qui sont celles dont il s’est servi pour le représenter dans son Othon, par exemple, ou dans son Attila.

Ce que l’on peut accorder, en effet, c’est que si dans Nicomède, par exemple, ou dans Cinna, l’amour tenait trop de place, — peut-être en tient-il toujours trop, dans la tragédie comme ailleurs, du moment qu’il ne la tient pas toute, — cependant il se liait assez étroitement à l’action principale, et même, dans Polyeucte ou dans Rodogune, il s’y incorporait. Au contraire, maintenant, dans Œdipe, dans Sertorius, dans Othon, il s’y juxtapose ou il s’y superpose. Ou plutôt encore, dans des sujets non pas sans doute moins « illustres » que les anciens, mais moins « invraisemblables, » moins « extraordinaires » et plus « connus, » tirés de Plutarque ou de Tacite au lieu de l’être, comme autrefois, de Paul Diacre ou d’Henri Van de Putte, Corneille ne se sert des passions de l’amour ou de leur imitation, tout en satisfaisant le goût des jeunes gens et des femmes, que pour compliquer ses intrigues d’une autre manière, et encore davantage. Il n’y a qu’une intrigue d’amour dans Œdipe