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cette galanterie, qu’il dédaigne sans doute, mais dont il sait aussi l’utilité pour le succès d’un drame. Ces complications l’amusent, ces épisodes qui se contrarient, intrigue sur intrigue, et, d’acte en acte, jusqu’au dénoûment, cet écheveau qui s’embrouille en se dévidant. « Voici un poème d’une espèce nouvelle, » dit-il en offrant son Don Sanche d’Aragon à M. de Zuylichem, le père du célèbre Huyghens ; et, en présentant son Nicomède au public : « Voici, dit-il encore, une pièce d’une constitution assez extraordinaire. » Mais l’Examen de son Héraclius est encore plus caractéristique : « Cette tragédie, dit-il dès le début, a encore plus d’effort d’invention que celle de Rodogune ; » et, de peur que l’on ne se méprenne sur ce qu’il appelle « effort d’invention, » il ajoute en terminant : « Ce poème est si embarrassé qu’il demande une merveilleuse attention. J’ai vu de forts bons esprits… se plaindre de ce que sa représentation fatiguait autant qu’une étude sérieuse. Il n’a pas laissé de plaire, mais je crois qu’il l’a fallu voir plus d’une fois pour en remporter une entière intelligence. » vous sentez l’accent de triomphe. Semblable à ces théologiens qui, de l’incompréhensibilité même des mystères de leur religion, font une preuve de sa vérité, Corneille, lui, de la difficulté que nous avons à suivre ses intrigues, s’en fait un motif de prédilection. Sa Rodogune et son Héraclius, voilà, pour lui emprunter son langage, les « entreprises sur l’histoire » dont il se sait le plus de gré à lui-même, et non pas du tout Polyeucte ni le Cid. C’est qu’en effet, par des artifices plus invraisemblables encore que les événemens n’étaient extraordinaires, il a trouvé de son cru, dans les combinaisons de son imagination échauffée, des moyens de rendre l’histoire encore plus « illustre, » en la rendant plus compliquée, plus merveilleuse, — et plus romanesque.

Car, je ne doute pas qu’on l’ait remarqué, mais l’a-t-on assez dit ? les procédés de Corneille, jusqu’ici, sont identiquement ceux de La Calprenède en ses longs romans, et l’histoire n’est guère moins maltraitée dans Rodogune ou dans Héraclius que dans Cassandre ou dans Cléopâtre : elle l’y est seulement moins longtemps, pendant cinq actes au lieu de dix volumes. Lequel des deux a imité l’autre, le Normand ou le Gascon ? C’est ce qu’il serait tout à fait superflu de rechercher, puisque c’est Corneille qui vit toujours et La Calprenède qui est mort. Mais, l’un et l’autre, ils ne demandent à l’histoire qu’un cadre, qu’un fond, que quelques événemens authentiques et extraordinaires, dont ils remplissent alors les intervalles avec les efforts de leur invention. Ainsi, de nos jours, a fait le vieux Dumas, dans ses drames et dans ses romans, tenant à la fois les deux rôles, dans sa Christine ou dans ses Mousquetaires, dont la