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n’ont paru pour la première fois qu’en 1660, après Œdipe, et que l’objet n’en est pas théorique ou didactique, mais plutôt et uniquement polémique. Trois ans auparavant, en 1657, un pédant de ruelles, dont le nom, quoique moins familier, nous est devenu presque aussi ridicule que celui même de Chapelain, je veux dire l’abbé d’Aubignac, avait publié sa Pratique du Théâtre, livre curieux, qui ne mérite peut-être pas toutes les railleries que l’on en a faites, sans l’avoir lu, sinon pour se dispenser de le lire, et qu’en tout cas les contemporains n’avaient point méprisé. Or, et au fond, sous couleur de rénovation ou de « réformation » du théâtre, c’était la critique plus ou moins déguisée du système dramatique de Corneille que ce livre, et, quand ce ne l’aurait pas été, on devine aisément de quel air l’auteur du Cid et de Pompée, de Rodogune et d’Héraclius pouvait recevoir d’un abbé sifflé des leçons de son art. Il forma donc aussitôt le projet d’y répondre, et, comme il préparait alors une nouvelle édition de son Théâtre, ce fut l’affaire de ces Examens, où l’impatience de la critique, le contentement de soi-même, l’orgueil de ses succès, quoi qu’on en puisse dire, ne tiennent pas moins de place que la « bonhomie. » Quant aux trois Discours, il faut sans doute avouer que d’Aubignac ne parlait pas poliment quand il reprochait à Corneille de lui en avoir « escroqué » les idées ; mais ils n’étaient pas moins, de point en point, la réplique de Corneille à la Pratique du Théâtre, et, comme tels, une adroite manœuvre de sa politique pour discréditer son censeur, — en l’absorbant. On conviendra qu’en de telles conditions il serait hasardeux, et il est difficile, d’étudier le système dramatique de Corneille dans ses Discours ou dans ses Examens : il y faudrait trop de précautions, trop de distinctions, trop de restrictions. Les tragédies de Corneille parlent d’ailleurs assez clairement d’elles-mêmes, pour qu’en s’aidant au besoin de ses Examens et de ses Discours, on ne le fasse qu’autant qu’ils confirment ce que ses tragédies nous apprennent, — mais jamais quand ils y contredisent.

le Cid et Polyeucte, Théodore ou Rodogune, Héraclius ou Nicomède, Pertharite ou Don Sanche d’Aragon, ce que toutes ces tragédies me semblent donc avoir de commun, si l’on veut bien me passer le jeu de mots, c’est ce qu’elles ont d’extraordinaire. Il n’est pas ordinaire que le fiancé d’une jeune fille se voie réduit à la nécessité de tuer le père de celle qu’il prétend épouser ; — c’est le sujet du Cid. Il n’est pas ordinaire qu’entre deux frères qui sollicitent la main d’une même femme, leur mère mette son consentement au prix de l’assassinat qu’ils en feront ; — c’est le sujet de Rodogune, dont j’essaie, dans ce bref résumé, de faire voir en raccourci toute la prodigieuse et naïve invraisemblance. Il n’est pas