Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 88.djvu/852

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’actualité janséniste au lieu d’une tragédie chrétienne. Une autre manière encore de le rapetisser, c’est d’en rapprocher le Saint-Genest de Rotrou.

Que de choses maintenant il y aurait à dire, et du Menteur, et de Pompée, de Théodore, de Rodogune, d’Héraclius, de Don Sanche, de Nicomède, et de Pertharite ! Est-ce, par exemple, une comédie de caractères que le Menteur ? et, pour mieux louer Corneille, de même que l’on veut, contre toute vérité, qu’il ait tracé la route à Racine, faut-il dire encore qu’avec le Menteur il ait également frayé les voies à Molière ? Je ne le pense pas, mais je n’ai pas le temps d’en donner les raisons. Ou encore, si le Cid est le plus beau des drames romantiques, Don Sanche d’Aragon, cent soixante ans avant Hugo, n’en serait-il pas, lui, dans sa médiocrité, l’un des plus caractéristiques ? et, si je puis ainsi dire, en versant dans la déclamation de Don Sanche un peu de l’esprit de Clitandre ou de l’Illusion comique, n’obtiendrait-on pas le « sublime » de Ruy Blas. — ou quelque chose de très approchant ? Est-il bien vrai, comme on le va répétant, que le sujet de Pertharite soit aussi celui d’Andromaque ? et s’il l’est, quelle est donc alors la différence qui sépare un chef-d’œuvre d’un « monstre ? » Toutes ces questions et plusieurs, qui sont toujours pendantes, mériteraient, sans doute, qu’on les discutât. Mais elles nous entraîneraient trop loin, et, d’ailleurs, au point où nous en sommes de l’histoire des ouvrages de Corneille, il s’en présente une plus importante, comme enveloppant toutes ses tragédies, depuis le Cid jusqu’à Pertharite. C’est de savoir ce que ses contemporains ont applaudi dans ses chefs-d’œuvre, ce qu’aujourd’hui nous-mêmes nous y aimons encore, quelle sorte d’émotions nous y cherchons et nous y trouvons, ou, en d’autres termes, c’est de savoir quel est le système dramatique de Corneille, à quelles sources il puise ses inspirations, et quelle est enfin, — car toutes ces questions n’en font qu’une, — la nature propre de son génie ?


II

Pour cette étude, et contrairement à l’usage, nous n’userons que fort peu des Discours de Corneille et des Examens qu’il nous a donnés de la plupart de ses pièces. Non plus qu’Hugo, Corneille n’est en effet de ceux que l’on puisse utilement consulter sur eux-mêmes, et, capables qu’ils sont d’écrire à peu près indifféremment Hernani ou Marie Tudor, le Cid ou Don Sanche d’Aragon, ni l’un ni l’autre d’eux ne s’est connu. Mais, de plus, il faut se souvenir que les Examens et les Discours de Corneille