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et, en prose, la traduction, la dissertation, le commentaire d’érudition, qui vous classaient un homme.

Quant au drame lui-même, je ne crois pas que personne, en moins de mots, l’ait mieux ni plus spirituellement caractérisé que M. Jules Lemaître dans ses Impressions de théâtre : le plus beau des drames romantiques, même après Hernani et Ruy Blas, — ou surtout après eux. En suivant cette indication, ne pourrait-on pas ajouter que, si quelque chose commence, que nous dirons plus tard, quelque chose aussi finit avec le Cid ? Héroïque et chevaleresque, un peu farouche même encore dans la transcription que Corneille en a faite pour les contemporains de Louis XIII et de Richelieu, le Cid achève et ferme, dans les littératures modernes, le cycle épique du moyen âge. De toutes les manières, par la simplicité de leurs sentimens, — car ils peuvent s’exprimer précieusement, mais ils pensent et surtout ils sentent naïvement ; — par leur confiance emphatique en eux,


Pour s’instruire d’exemple, en dépit de l’envie,
Il lira seulement l’histoire de ma vie…
………
Un seul jour ne perd pas un homme tel que moi…
………
Paraissez, Navarrois, Maures et Castillans ; ..


par la subtilité de grands enfans fiers et rusés avec laquelle ils concilient leurs intérêts et leur devoir, ou plutôt leur honneur ; par leur conformité constante avec eux-mêmes, les personnages du Cid ont l’allure épique. Si ce n’est pas un monde étranger, c’est un monde au moins bien éloigné qui revit, et où nous nous plaisons de nous sentir transportés avec eux ; c’est une image de nous plus grande que nous-mêmes, et surtout beaucoup moins compliquée ; c’est quelque chose de simple et de fort à la fois, ou même d’un peu brutal, de romanesque et d’historique, d’impossible et pourtant de réel. Quoi que Corneille ait pu faire pour humaniser à notre taille le Cid du Romancero, il l’a rendu moins espagnol, et conséquemment plus européen, mais non pas moins ancien et non pas moins contemporain des jours où le Maure campait en Espagne.

Une question intéressante se rattache naturellement à l’histoire de la querelle du Cid, ou deux questions, pour mieux dire : c’est d’abord de savoir pourquoi Corneille se détourna, presque aussitôt après y avoir réussi, de l’imitation du théâtre espagnol ; mais pourquoi surtout, après le Cid, il attendit quatre ans à donner Horace et Cinna. Car les attaques violentes, sans doute, et même grossières, des Scudéri, des Mairet, des Claveret, approuvées ou