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lui-même, bien apparenté, venant à Paris tous les ans, ou plusieurs fois par an, pour y prendre l’air du monde et celui de la cour, Corneille, qui parlait mal, nous dit-on, ou plutôt qui parlait peu, mais jeune alors et sans doute assez différent du vieil homme que son neveu Fontenelle a connu, n’en a pas moins excellé, avant d’écrire Polyeucte ou Rodogune, à rendre ce style de la conversation, un peu gêné encore dans son affectation de politesse, précieux et souvent emphatique, mais insinuant, mais caressant, mais tout animé du désir de plaire, tout plein de jolis riens, avec une pointe de romanesque ou de poésie même :


Tu l’as gagné, Mélite, il ne m’est plus possible
D’être à tant de faveurs plus longtemps insensible.
Tes lettres où sans fard tu dépeins ton esprit,
Tes lettres où ton cœur est si bien par écrit
Ont charmé tous mes sens par leurs douces promesses ;
Leur attente vaut mieux, Cloris, que tes caresses !
……….
Souvenirs importuns d’une amante laissée,
Qui venez malgré moi remettre en ma pensée
Un portrait que j’en veux tellement effacer,
Que le sommeil ait peine à me le retracer ;
Hâtez-vous de sortir sans plus troubler ma joie,
Et retournant trouver celle qui vous envoie,
Dites-lui de ma part pour la dernière fois
Qu’elle est en liberté de faire un autre choix ;
Que ma fidélité n’entretient plus ma flamme ;
Ou que, s’il m’en demeure encore un peu dans l’urne,
Je souhaite, en faveur de ce reste de foi,
Qu’elle puisse gagner au change autant que moi !


Quelle élégance de contour ! quel art déjà de conduire la période ! — ces vers sont tirés de Mélite, et Corneille n’a guère plus de vingt ans ; — quel naturel surtout, et, comme les mots, comme les rimes, s’ajustent sur la pensée pour ne faire qu’un avec elle ! Plus tard, quand il sera le grand Corneille, il aura d’autres qualités, d’autres défauts aussi, mais jamais il ne retrouvera cette aisance spirituelle, cette bonne humeur légère, cette grâce de facilité, qui se jouent ou qui semblent s’amuser d’elles-mêmes dans ses comédies de jeunesse ; — et on les lit si peu que je tenais à le dire.

Comment, de cette comédie de genre, moyenne et tempérée, comment est-il passé à la tragédie d’abord, et plus tard au mélodrame ? De cette imitation de la vie commune et de l’air agréable de la conversation galante, comment l’auteur du Cid et de Polyeucte, de Théodore et de Rodogune, s’est-il un beau jour dégagé ? J’aime mieux dire que je n’en sais rien. Car, pour quelques endroits de la Veuve, ou de la Place Royale, dont le ton s’élève