Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 88.djvu/840

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

original et nouveau, avec beaucoup d’épisodes autour, et des vers galans ou pompeux par-dessus, — si ce sont les vers les plus pompeux que j’aye faits, » disait Corneille en présentant aux lecteurs sa Mort de Pompée ; — telle pourrait être la formule des soixante ou soixante et dix pièces que nous ont laissées les deux frères. Seulement, les épisodes, qui ne sont à l’ordinaire que du vain remplissage dans les comédies de Thomas, sont plus d’une fois des coups de génie dans les tragédies de Pierre ; et Thomas écrit assez mal, d’une manière surtout assez lâche, tandis que depuis Ronsard jusqu’à Victor Hugo, personne, — si ce n’est peut-être La Fontaine, mais dans un genre bien différent, — n’a écrit en vers aussi naturellement que Pierre Corneille, avec autant d’abondance, d’un style qui sente moins le travail, avec plus de justesse, de force, et même d’esprit.

C’est ce qu’il serait intéressant d’étudier de plus près qu’on ne l’a fait, dans Mélite, dans la Veuve, dans la Galerie du Palais, dans la Place Royale, et, généralement, dans ces comédies de la jeunesse de Corneille que, depuis que La Bruyère et Voltaire en ont donné l’exemple, on a, pour ainsi dire, effacées du nombre de ses œuvres, mais qui ne laissent pas d’en faire tout de même partie, de nous montrer Corneille sous des traits qu’on ne lui connaît guère, et d’avoir leur place marquée, sinon dans l’histoire, au moins dans un tableau complet du théâtre français.

« On n’avait jamais vu jusque-là, — disait-il lui-même, beaucoup plus tard, dans son Examen de Mélite, en 1660, — de comédie qui fit rire sans personnages ridicules, tels que les valets bouffons, les parasites, les capitans, les docteurs, etc. » Sa naïveté, dont on l’a trop loué, ne l’empêchait pas de se rendre justice ; et il a là heureusement noté, d’un ou deux mots, le caractère original et neuf des comédies de sa jeunesse. A part Clitandre, — qui n’est pas d’ailleurs une comédie, — et à part l’Illusion comique, ce sont en effet des aventures de la vie commune, ou plutôt quotidienne, encore un peu compliquées, il est vrai, mais également éloignées de l’invraisemblance espagnole, de la bouffonnerie bergamasque, ou de cette satire générale des mœurs qui sera un jour l’âme de la comédie de Molière. Tout ici se passe entre personnes de condition moyenne, petite noblesse ou bonne bourgeoisie, dont les histoires côtoient le drame, sans y jamais tomber, et le grand charme en est fait de l’enjouement du ton, de l’aisance des conversations, de l’agrément et de l’esprit du style. Avec tout ce que de semblables comparaisons veulent toujours de restrictions, je ne connais rien, dans le théâtre français classique, pour donner une idée plus ressemblante et plus vraie de la comédie de Térence. Ou, si l’on préfère un autre