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Corneille est de ceux-ci. « Sa vie, comme disait son neveu Fontenelle, n’a rien d’assez important pour mériter d’être écrite ; » c’est ce que l’on a bien vu quand on s’est avisé de la vouloir écrire ; et son histoire n’est celle que de ses ouvrages. Nous louerons donc d’abord l’auteur des Points obscurs et nouveaux de la vie de Corneille, M. F. Bouquet, de s’être borné presque uniquement à purger la biographie du poète de ce que le désir de la rendre plus piquante y avait introduit de légendes et d’erreurs. On voulait un Corneille conforme, si je puis ainsi dire, à l’auteur du Cid et de Polyeucte qui lui ressemblât en quelque manière, qui eût vécu ses comédies, à défaut de ses drames ; et, ne le trouvant pas, on l’avait inventé. Mais, en réalité, ce grand homme, qui devait mettre à la scène tant de héros, — et tant de contre-façons aussi de héros, disons-le tout de suite, — il a vécu comme un peu tout le monde, bon fils, bon époux, bon père, bourgeois dans l’âme, nullement romanesque, très curieux de ses intérêts, fort habile à les faire valoir, et, dans ses rapports avec ses libraires comme dans ses dédicaces, le moins héroïque des hommes. Quand, en fait de « points nouveaux, » M. Bouquet n’aurait tiré que celui-là de l’obscurité, c’en serait un déjà de quelque importance. Il nous faut nous y résigner : le « grand » Corneille, le vieux Corneille, a fait de la « littérature » comme il aurait fait autre chose, comme il aurait, par exemple, auné de la toile ou vendu de l’éloquence ; et sa « littérature » n’en vaut pas moins pour cela, n’étant pas nécessaire qu’un poète mette sa vie dans ses drames, — et encore bien moins ses drames dans sa vie.

On connaît l’histoire de ses débuts, et celle de Mélite, la première de ses comédies. « Une aventure galante lui fit prendre le dessein de faire une comédie, pour y employer un sonnet qu’il avait fait pour une demoiselle qu’il aimait. » C’est Thomas Corneille, son petit frère, qui nous a conté l’anecdote, et, si nous en croyons les recherches de M. Bouquet, elle paraît authentique. J’en suis bien aise. Non pas du tout qu’il m’intéresse, avec les érudits rouennais, d’en savoir davantage, quel était le nom de la demoiselle, si c’était Marie Courant, Marie Milet, ou Catherine Hue, et pourquoi Corneille ne l’épousa pas. Mais je vois poindre ici l’un des principes de sa poétique. Il prit le dessein de faire une comédie tout entière, en cinq actes et en vers, « pour y employer un sonnet qu’il avait fait, » comme Thomas, à son tour, écrira plus tard son Bertrand de. Cigarral, par exemple, « pour y employer une lettre plaisamment imaginée. » On n’aimait pas à rien perdre, dans la famille des Corneille. Et, en effet, une scène capitale, une situation plaisante ou forte, renouvelée de Calderon ou d’Alarcon, de Francisco de Rojas ou de Lope de Vega, un moyen dramatique