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J’arrivais à Francfort à point nommé pour assister à l’agonie du parlement et entendre, sous les voûtes de l’église Saint-Paul, les derniers et plaintifs accens des grands orateurs allemands. Peu de semaines après, les députés libéraux et radicaux, terrifiés par la réaction, se sauvaient éperdus et cherchaient un refuge à Stuttgart, avec l’arrière-pensée d’y faire revivre l’assemblée nationale expirante. Ils savaient bien qu’on ne ressuscite pas les morts ; ils avaient si bien le sentiment de leur irrémédiable défaite, qu’en prévision de leur proscription, ils venaient découragés, effarés, à la légation, solliciter des passeports pour la France. Ceux qui nous outragent aujourd’hui nous imploraient alors !

Je vis de près tous les personnages marquans de cette dramatique époque ; j’en pourrais tracer de fidèles silhouettes, si ce n’était dépasser mon cadre. Je fus le témoin des tristesses du patriotisme déçu et de l’orgueil triomphant de la réaction. La Prusse à cette époque n’était ni glorieuse ni satisfaite ; elle sortait des événemens amoindrie, ayant manqué toutes les occasions qui s’étaient offertes à son ambition. Pour échapper à une intervention fédérale provoquée par l’électeur de Hesse, chassé de sa capitale par ses partisans, elle dut, après avoir imploré la paix et renié sa politique, se prêter à la restauration de son trône. J’ai raconté ses profondes humiliations et ses glorieux relèvemens. La fortune est changeante ; plaignons les présomptueux qui l’oublient !

L’électeur triomphait ; son âme étroite se réjouissait des mortifications que subissait par son fait Frédéric-Guillaume, son royal parent. Il célébrait la victoire du principe monarchique sur la révolution ; il ne songeait pas aux retours de la fortune, il ne lisait ni Tacite ni Montesquieu. Il lui suffisait de remettre la main sur ses sujets pour leur faire sentir son autorité par de mesquines vexations. « A quelques-uns, dit Labruyère, l’arrogance tient lieu de grandeur, l’inhumanité de procédé et la fourberie d’esprit. »

Il sut racheter du moins, au mois de juin 1866, au début de la guerre de Bohême[1], par un acte de courage, les défaillances dont

  1. Les Prussiens, au mois de juin 1860, avant toute déclaration de guerre, avaient envahi le territoire hessois, occupé Cassel et cerné Wilhelmshöhe. Ils avaient sommé l’électeur de se prononcer. Marcher avec la Prusse ou disparaître de la carte, tel était l’ultimatum qu’on lui notifiait. Il répondit qu’il n’était pas en guerre avec la Prusse, et qu’il entendait se maintenir sur le terrain de la légalité, en restant fidèle au pacte fédéral.