Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 88.djvu/834

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

se trouvèrent, par le fait de sa résolution, brusquement en présence. Le parlement provoquait leur antagonisme, il les forçait à résoudre en champ clos la question du dualisme « posée, depuis Charles-Quint, de siècle en siècle. » On s’attendait à un déchirement suprême ; déjà les armées s’ébranlaient des deux côtés du Main, lorsque la Prusse, au lieu de combattre, subitement se déroba pour rentrer, déçue et repentante, dans le giron fédéral.

C’est au moment où les affaires allemandes, dont je signalais, au jour le jour, les péripéties, avec une inquiète et vigilante sollicitude, prenaient un caractère d’extrême gravité, qu’un inconnu dans la diplomatie vint, à la fin du mois de novembre, me rappeler que si depuis deux ans je gérais la légation, je le devais, non pas à mon grade, mais à mon étoile. De chef de mission, je redescendais au rang de simple attaché. Mon remplaçant était un riche propriétaire du Poitou, chef d’une nombreuse lignée, marié à une petite-fille de Lafayette, blonde comme les blés. Allié à de grands noms, séduit par d’illustres exemples, M. d’Assailly, instruit, lettré, s’était reconnu, sur le tard, une vocation pour la diplomatie. Il n’eut pas à forcer les portes, elles s’ouvrirent d’elles-mêmes. Ses beaux-frères, M. de Corcelle et M. de Rémusat, deux hommes éminens, après une courte éclipse, étaient redevenus puissans. Ils le firent nommer chargé d’affaires à Cassel, bien qu’il ignorât l’Allemagne, sa langue, ses mœurs et sa politique. Il ne fit du reste que traverser la diplomatie ; sa naissante carrière fut brisée par le coup d’état.

Le directeur politique avait remarqué ma correspondance, il appela sur moi l’attention du ministre ; sa bienveillance hâta mon avancement. — M. Cintrat, par son savoir et la puissance de son travail, rappelait les anciens commis du ministère des affaires étrangères, qui, élevés dans nos traditions, confinés dans leurs bureaux, modestes et discrets, connaissaient par le menu tous les précédens diplomatiques et tenaient le fil de toutes les négociations. Le prince de Talleyrand ne voyait pas, dans la hiérarchie diplomatique, de fonction plus haute et plus considérée que celle du directeur politique, le confident, le conseiller et souvent l’inspirateur du ministre. Il le définissait ainsi : « Ses mœurs doivent être simples, régulières, réservées ; étranger au tumulte du monde, il doit vivre uniquement pour les affaires et leur vouer un culte impénétrable. Toujours prêt à répondre sur les faits et les hommes, il doit avoir sans cesse à la mémoire tous les traités, connaître historiquement leur date, apprécier avec justesse leurs côtés forts et leurs côtés faibles, leurs antécédens et leurs conséquences. Tout en faisant usage de ses connaissances, il doit prendre garde d’inquiéter l’amour-propre toujours en éveil du ministre, et alors même qu’il