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détendent de plus en plus, elle marche à grands pas vers d’autres destinées, si ce n’est à sa décomposition. Le dénoûment de la lutte engagée entre le germanisme et le panslavisme est encore douteux, mais l’Allemagne semble le pressentir. Elle ne prend plus le mot d’ordre à Vienne ; ses regards, bien qu’à regret, se reportent vers Berlin. Les journaux qui, hier encore, demandaient l’incorporation de l’Autriche, avec toutes ses provinces, dans l’empire allemand, battent en retraite : ils comprennent l’inanité de leurs prétentions. L’unité allemande entre dans une phase nouvelle. C’est la Prusse qui, désormais, malgré l’impopularité de sa dynastie, deviendra, par la force des choses, le centre unitaire. »


XI

Au mois de septembre 1848, le pouvoir central et le parlement étaient en plein désarroi ; on redoutait une crise violente. Il n’était question que d’une levée de boucliers générale du parti démocratique. L’Allemagne se sentait atteinte dans son amour-propre ; elle était indignée de l’armistice de Malmoë, conclu, sous la pression des puissances, avec le Danemark, après une campagne peu faite pour rehausser le prestige de ses armes. Le parlement, si provocant à ses débuts, avait dû mettre une sourdine à ses fiertés et ratifier un acte qui donnait un fâcheux démenti au glorieux manifeste qu’à ses débuts il avait adressé à l’Europe. Le sentiment public, bien que l’assemblée n’eût sanctionné l’armistice qu’à son corps défendant, après d’orageux débats, lui reprochait d’avoir porté atteinte « au droit et à l’honneur allemands » dont il s’était déclaré le gardien jaloux. Sa soumission aux arrangemens de Malmoë servait de prétexte aux partis extrêmes pour le discréditer et s’attaquer au pouvoir de l’archiduc.

Le 18 septembre, l’insurrection éclatait à Francfort et s’étendait au grand-duché de Bade. Il fallut recourir à l’emploi du canon pour détruire les barricades, et proclamer l’état de siège. Les barricades furent aisément balayées ; elles étaient construites par des mains inexpérimentées, avec des planches, des caisses et des tonneaux vides ; c’était l’enfance de l’art. On n’eut pas aussi aisément raison de ceux qui les défendaient. La lutte fut acharnée ; les Turner de Hanau payèrent bravement de leurs personnes. Le hasard les mit en présence des bataillons hessois en garnison à Francfort ; ils furent décimés. L’électeur, loin de gémir de cet incident fratricide, s’en réjouissait ; il était fier de ses soldats : ils l’avaient vengé des impertinens qui étaient venus l’outrager dans son palais. — « Infligé correction aux Turner ! » disait-il en se frottant les mains.

La répression était sortie victorieuse de cette meurtrière