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voyaient de salut que dans une guerre ; ils exploitaient les craintes endémiques qu’inspirait la France, ils dénonçaient systématiquement son esprit de conquête, ils protestaient contre son intervention éventuelle en Italie. Mais l’éloquent et fraternel manifeste de M. de Lamartine, les mesures prises à nos frontières pour dissiper les rassemblemens armés de corps francs, composés de Polonais, d’Italiens et de réfugiés badois, déjouaient leur tactique. La sagesse et la modération du gouvernement provisoire étaient la force du parti révolutionnaire allemand[1].

La diète, livrée à elle-même, était aux abois ; elle ne savait à quoi se reprendre ; l’Autriche était paralysée, et la Prusse, le point d’appui naturel des aspirations germaniques, discréditée. Personne ne songeait plus à confier au roi Frédéric-Guillaume les destinées de la grande et commune patrie.

Le parlement allait s’ouvrir à Francfort sans qu’on pût pressentir ce qui sortirait des délibérations de l’église Saint-Paul. Deux solutions se trouvaient en présence, l’une radicale, plaçant à la tête de l’Allemagne un président ou un directoire nommé par l’assemblée constituante, l’autre constitutionnelle, réservant aux souverains la désignation du chef du pouvoir exécutif. Laquelle l’emporterait ? Les plus experts l’ignoraient.

A l’enthousiasme des premiers jours avait succédé le découragement. Aussi le parlement s’ouvrait-il le 18 mai, non pas assurément au milieu de l’indifférence générale, mais sans bruyantes démonstrations. Les feux de joie qui devaient éclairer les sommets de toutes les montagnes en signe d’allégresse, comme au lendemain de la bataille de Leipzig, ne s’allumèrent pas. On renonça presque partout aux réjouissances publiques. A Cassel, le service religieux, la revue de la garde bourgeoise et les illuminations furent contremandés. La confiance avait disparu ; il semblait que tout le monde fût dégrisé.

La sanglante répression de l’insurrection à Paris pendant les journées de juin réveilla les esprits et raffermit les courages. Elle

  1. Dépêche de Cassel à M. de Lamartine. — « La panique causée par l’invasion de corps francs sur le territoire allemand s’est calmée depuis votre réponse aux Polonais. L’Allemagne vous est reconnaissante des efforts que vous faites pour éviter toute propagande dans les pays dont les institutions ne sont pas conformes aux nôtres. J’en constate les bons effets. — Des émissaires polonais sont arrivés à Cassel ; l’un d’eux, le sieur Czarneaki, s’est présenté à la légation ; il m’a demandé de le mettre en rapport avec les chefs du parti républicain hessois. Non-seulement je lui ai opposé un refus, mais je l’ai invité à éviter tout ce qui, de près ou de loin, pourrait inspirer ombrage au gouvernement électoral. Un agent français ne saurait prêter la main, même indirectement, à une propagande déloyale, quelles que puissent être nos sympathies pour une Allemagne républicaine. C’est ainsi du moins que j’interprète le manifeste que vous m’avez fait l’honneur de m’adresser.