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de souverainetés, composées d’élémens disparates, jalouses de leurs institutions et de leur autonomie, à moins de faire table rase de tous les gouvernemens ? L’accord paraissait impossible au milieu des passions qui s’agitaient et se contrariaient ; partout se révélaient l’incohérence des idées et l’antagonisme des intérêts. Jamais l’Allemagne n’avait traversé une crise plus obscure. Les partis extrêmes seuls faisaient preuve d’activité et de discipline. Tandis que les doctrinaires se livraient à des discussions spéculatives, les démocrates propageaient les idées subversives en nommant des comités de propagande et en organisant des assemblées populaires. Les étudians se réunissaient à la Wartburg[1] moins pour discuter des questions universitaires que pour manifester leurs tendances républicaines, et les socialistes, de leur côté, tenaient à Hambourg de bruyantes assises pour préparer l’avènement de leurs doctrines.

A Francfort, le comité des cinquante, sous la pression des populations ouvrières des environs, armées et dirigées par des chefs entreprenans, tels que Struve et Hecker, avait fini par rompre avec la diète. Ces dissensions montraient que, si l’idée de l’unité s’imposait à tous, personne ne la dominait. Les plus avancés voulaient faire la constitution sans la participation des souverains ; elle devait leur être imposée. C’était trop augurer de leur résignation. Sur ce point, les opinions étaient partagées ; les uns croyaient que les gouvernemens, terrifiés, affaiblis, pour sauver un simulacre d’existence, subiraient les plus dures conditions ; les autres, et c’étaient les plus sages, prévoyaient qu’avant peu, à la première saute de vent, les princes profiteraient des divisions au sein du parlement pour reprendre leur ascendant. Il en était aussi qui ne

  1. Dépêche de Cassel, 11 juin 1848. — « Le château de la Wartburg est, en Allemagne, le symbole de la liberté moderne. — Luther s’y est réfugié, en 1522 pendant la diète de Worms ; il y traduisit la Bible, et les étudians allemands y ont conspiré en 1817 pour reconquérir les libertés confisquées par les princes après les guerres de l’indépendance. Les universités comptent y tenir de grandes assises pendant les fêtes de la Pentecôte. Leurs représentans ne seront pas exposés, cette fois, aux sanglantes persécutions de la réaction. Les gouvernemens sont impuissans, et la liberté n’a plus à comploter, elle s’affirme au grand jour, bruyante, irrésistible ; les rêves de 1817 sont réalisés et même dépassés. Le prétexte du congrès est le règlement des questions universitaires. S’en tiendra-t-on à ce modeste programme ? — Il est permis d’en douter. C’est dans les Burschenschaften que se recrutent les partis avancés, et je ne serais pas étonné si les fêtes projetées à la Wartburg prenaient, comme celles de Hambach, en 1834, un caractère politique.