Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 88.djvu/813

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

électorale. Il restait à savoir qui présiderait aux élections, qui serait, du 1er avril au mois de mai, le représentant de l’Allemagne nouvelle, et qui veillerait au maintien des libertés qu’on venait de conquérir si rapidement. Il fut question de se déclarer en permanence jusqu’à l’arrivée de la constituante. C’était rompre avec les gouvernemens et se jeter dans les aventures. La diète était la dernière force qui restait aux princes ; malheureusement elle était discréditée ; elle rappelait aux Allemands leurs plus mauvais jours, elle était à leurs yeux l’instrument de la réaction. « Elle n’est plus qu’un cadavre, » disait M. de Struve, aux applaudissemens frénétiques de la gauche et des tribunes. — « Si elle n’est plus qu’un cadavre, répondait M. de Gagern, nous la ferons revivre ; transformée, avec des hommes investis de la confiance publique, elle sera l’image de l’unité. Ce n’est pas pour détruire, mais pour édifier, que nous siégeons ici[1]. »

La diète était du reste déjà transformée ; dès les premiers jours de mars, les princes, pour satisfaire à l’opinion, s’étaient empressés de remplacer leurs anciens plénipotentiaires à Francfort par des hommes populaires. Ceux qui siégeaient aujourd’hui au palais de Thurn-et-Taxis étaient des libéraux éprouvés, tels que le poète Uhland ; la plupart d’entre eux avaient souffert pour leurs convictions dans l’exil et les prisons. M. de Gagern sauva la diète ; la permanence fut repoussée par 368 voix contre 143, et un comité de cinquante membres fut chargé de préparer avec les délégués des gouvernemens la convocation de l’assemblée nationale.

Le rêve poursuivi depuis 1815 apparaissait comme une réalité, l’unité semblait assurée. Les savans, les constructeurs de systèmes, au lieu d’enseigner l’histoire, allaient la faire eux-mêmes à la face de l’Europe. Les cinquante de Heidelberg et les six cents notables de Francfort croyaient avoir bien mérité de l’Allemagne ; ils s’imaginaient l’avoir mise en selle pour lui permettre de satisfaire son orgueil et son esprit de domination. Ce n’était qu’un mirage, l’heure du réveil ne devait pas tarder.

La tâche qu’allait entreprendre la diète de compte à demi avec les cinquante était ardue. La diète représentait les gouvernemens ; elle avait à défendre leurs intérêts, leurs prérogatives ; le comité était l’interprète des masses, de leurs passions et de leurs exigences. C’étaient deux pouvoirs différens siégeant à côté l’un de l’autre ; le premier affirmait le principe de l’autorité, le second le droit révolutionnaire. Leur accord était d’autant plus difficile, que l’Allemagne était bouleversée, exposée à la guerre civile et à la guerre étrangère. Les corps francs faisaient irruption dans le grand-duché de

  1. Saint-René Taillandier, Histoire du parlement de Francfort.