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populaire, d’accorder le jury, de changer de conseillers et d’affranchir la presse. Frappée de l’impétuosité des soulèvemens qui se produisaient de tous côtés, elle eut le sentiment de son impopularité et de sa faiblesse. Transiger avec les événemens, telle fut sa politique pendant ces journées de trouble et d’enthousiasme.

La liberté obtenue, on réclama l’unité, une représentation unique de tous les pays de race germanique. Ce fut le second cri que traduisait le chant d’Arndt : « Qu’est-ce que la patrie de l’Allemand ? Was ist des Deutschen Vaterland ? » Les couleurs allemandes qui, la veille encore, étaient séditieuses, furent partout arborées ; de la voie constitutionnelle on entrait dans la voie révolutionnaire. Des avocats,. des-publicités et des professeurs imbus de la métaphysique hégélienne, accouraient, pédans et solennels, de tous les points de la confédération pour délibérer à Heidelberg, sans mandat, sur les moyens d’assurer à tous les peuples d’origine allemande une commune patrie. Ils avaient la prétention de refaire brusquement et révolutionnairement le travail des siècles, en dépit de l’expérience et du bon sens, au mépris de l’histoire qu’ils enseignaient et altéraient en prêtant à l’Allemagne des temps passés des tendances nationales et des passions politiques qui lui étaient inconnues. Ils étaient descendus de leurs chaires, sortis de leurs bibliothèques transformés en hommes d’état. Pénétrés de la mission qu’ils s’étaient donnée, ils rédigeaient, le 5 mars, le programme qui devait assurer la création d’une grande Allemagne et présider à sa politique extérieure. Ils réclamaient un parlement allemand, prescrivaient la reconnaissance du nouvel état de choses en France, et protestaient contre toute alliance avec la Russie. La Russie était leur bête noire ; elle leur apparaissait comme le fantôme de la réaction, comme le gendarme toujours prêt à mettre les menottes aux Allemands. Pour la paralyser, ils parlaient de l’émancipation de la Pologne ; ils faisaient les yeux doux à la Courlande, à la Livonie et à la Finlande ; ils rappelaient à ces provinces qu’elles étaient de race germanique. S’ils ne faisaient aucune allusion à l’Alsace, ce n’était pas faute d’y penser, la peur seule les retenait.

Un comité de sept membres fut chargé de la convocation d’une assemblée nationale. Il se mit aussitôt à l’œuvre, et le 12 mars il convoquait à Francfort, pour1 le jeudi 30 mars, un parlement préparatoire, Vorparlement, qui devait être composé de toutes les notabilités libérales de l’Allemagne.

La diète, au lieu de protester ; était dès la première heure entrée dans la voie des compromis ; elle avait révoqué toutes les lois exceptionnelles décrétées contre la liberté depuis 1817 : les protocoles de Carlsbad, de Vienne, et les résolutions fédérales de 1832. Sous la pression de l’assemblée de Heidelberg, elle fit un pas