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dans le Maroc. Ils étaient environ 280 ; sur ce nombre, 05, dont 57 blessés, avaient été pris combattant à Sidi-Brahim ; le surplus étaient les défaillans d’Aïn-Temouchent. Ils avaient été bien traités d’abord ; mais leur sort, attaché à celui de la deïra, ne tarda pas à en subir les vicissitudes.

Déjà Miloud-ben-Arach, cédant aux injonctions de l’empereur Mouley-Abd-er-Rahmane, était allé faire sa soumission à Fez ; bientôt il y eut une autre défection plus considérable ; les Beni-Amer, qui étaient 15,000, prirent, au mois de mars, le chemin de l’ouest, et suivirent l’exemple de Miloud-ben-Arach. Il ne restait plus que les Hachem et quelques émigrés isolés de diverses tribus.

Sur ces entrefaites, le beau-frère de l’émir, Moustafa-ben-Tami, vint prendre à la place de Bou-Hamedi le commandement de la deïra ; il avait l’ordre de la conduire dans le sud. Cet ordre provoqua d’énergiques résistances ; entre les deux khalifas, il y eut des discussions vives. Dans la deïra, réduite des trois quarts, le mécontentement grandissait avec la misère ; on regardait comme un embarras ces prisonniers qu’il fallait nourrir.

Ils occupaient, au milieu d’un camp de 500 réguliers, sur les bords de la Moulouïa, une vingtaine de gourbis ; le camp était entouré d’un rempart de broussailles. Le 24 avril, dans l’après-midi, Moustafa-ben-Tami envoya chercher les officiers français, 2 sous-officiers et 4 soldats, en tout 10 hommes, qu’on conduisit à la deïra 3 lieues plus loin. A la nuit tombante, les autres furent répartis par petits groupes dans les buttes des réguliers. A minuit, un cri donna le signal du massacre ; la fusillade dura une demi-heure ; puis l’incendie dévora les gourbis où quelques-unes des malheureuses victimes avaient cherché refuge.

Un seul des prisonniers, le clairon Rolland, du 8e bataillon de chasseurs à pied, put échapper aux massacreurs. Blessé, nu, mourant de faim, pris par des Marocains qui d’abord voulurent le tuer, mais qui se ravisèrent en songeant au bénéfice que devait leur rapporter la capture, il fut en effet ramené, moyennant rançon, à Lalla-Maghnia, le 17 mai. Ce fut par lui qu’on sut le détail de cette horrible tragédie. Qui en avait été l’auteur ? Quelles qu’aient été plus tard les dénégations et les protestations d’Abd-el-Kader, il n’est pas douteux qu’il ait ordonné le crime. Dans des lettres que nous aurons, à citer bientôt, il en a fait l’aveu lui-même.


VIII

Dans les premiers jours du mois de mai, le général Jusuf, d’après les instructions que venait de lui. donner le duo d’Aumale, avait