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d’organiser deux bataillons de la milice et de les tenir prêts à marcher au premier danger sur Douera ou sur Blida. » En recevant cette dépêche, le bon général de Bar fut tout abasourdi : « Je prépare, répondit-il par le télégraphe, l’exécution des ordres relatifs à la milice. Je crois de mon devoir de vous informer que la simple annonce de cette mesure a déjà produit plus d’alarmes que l’insurrection tout entière. J’attends de nouveaux ordres pour signer l’arrêté. » Il les reçut dans la journée même. Quoi ! la guerre aux portes d’Alger ! La situation pire qu’en 1839, aussi mauvaise qu’en 1831 ! Il y eut un premier moment de grande panique ; peu à peu l’agitation diminua, et les deux bataillons de miliciens s’organisèrent.

Le jour même où arrivaient les derniers ordres du maréchal, Abd-el-Kader, ayant tourné le général Bedeau et le général Marey qui le cherchaient dans le Dira, donnait la main à Hon-Salem sur le bas Isser. Ce même jour, le colonel Blangini, qui venait de changer la garnison de Dellys, ramenait au général Gentil le bataillon relevé, quand il rencontra des groupes d’hommes et de femmes qui fuyaient devant une razzia de Ben-Salem. Immédiatement il se porta contre les pillards et leur reprit une partie du bétail enlevé.

Dans la nuit du 6 au 7 février, le général Gentil rejoignit le colonel avec son autre bataillon, un escadron du 5e chasseurs de France et un obusier de montagne. Avant le jour, il surprit le campement de Ben-Salem ; dès les premiers coups de feu, les Kabyles, pris de terreur, s’enfuirent dans la montagne, laissant au général, comme trophée de cette facile victoire, 3 drapeaux, 600 fusils, les tentes toutes tendues, des chevaux et tous les troupeaux enlevés la veille aux Isser. La petite colonne française n’avait ni un seul tué ni un seul blessé même. Mais la nouvelle la plus surprenante qu’on eut par les prisonniers, c’est qu’Abd-el-Kader était dans le camp et qu’il n’avait échappé qu’avec peine aux suites de la bagarre.

Comme il ne se trouvait plus en sûreté à si courte distance du général Gentil, il se jeta dans le Djurdjura, où il mit tout en œuvre pour se créer un nouveau centre de résistance. La Métidja n’avait plus rien à craindre. Le 9 février, le maréchal, accouru de Boghar, fit sa jonction avec Bedeau ; mais la neige et la pluie retardèrent de quelques jours le châtiment qu’il voulait infliger aux Kabyles coupables de connivence avec l’émir. Le 15, il prit au général Gentil ses réserves de troupes fraîches, lui donna en échange son infanterie fatiguée, et, du 17 au 21, ravagea le territoire des Flissa, des Guechtoula, des Nezlioua et des Beni-Khalfoun. Au lieu de les soutenir, Abd-el-Kader et Ben-Salem profitèrent de l’occupation qu’ils donnaient à la colonne française pour se dérober au sud-est, vers