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au-delà du Rhin contre les Allemands. Symmaque lui plut, et il le garda quelque temps à sa cour. Ge vaillant soldat aimait les lettres ; — qui ne les aimait pas alors ? — Il goûtait beaucoup la compagnie d’Ausone, qu’il avait nommé précepteur de son fils, et il s’en faisait suivre dans ses expéditions. L’hiver venu et la campagne finie, on rentrait sur le territoire romain, et l’on allait se reposer dans les palais de Mayence ou de Trêves. L’empereur y donnait des fêtes brillantes, pendant lesquelles on entendait Ausone chanter en vers les exploits du prince, tandis que le jeune Symmaque les célébrait en prose. Il avait la réputation d’exceller dans les discours de ce genre ; personne ne tournait mieux que lui les complimens, et les flatteries avaient dans sa bouche une grâce particulière. Napoléon disait de la vieille aristocratie française dont il aimait à remplir ses antichambres : « Il n’y a que ces gens-là qui sachent servir. » De même ces soldats parvenus, qu’un coup de fortune avait mis à la place d’Auguste et de Marc-Aurèle, approchaient d’eux volontiers les descendans des grandes familles romaines, dont les manières étaient si distinguées et qui savaient flatter avec tant de finesse et d’aisance. Le cardinal Maï a retrouvé, sur un palimpseste, quelques fragmens des panégyriques de Symmaque et les a publiés : ce ne sont pas des chefs-d’œuvre. Dans l’un d’eux, l’orateur compare Valentinien et son frère Valens, l’empereur d’Orient, au soleil et à la lune, qui se partagent le gouvernement du ciel, comme les deux frères se sont divisé celui de la terre. Il fait remarquer pourtant que la comparaison n’est pas tout à fait juste, et que Valentinien s’est bien mieux conduit que le soleil. Le soleil a gardé toute la lumière pour lui et n’en a laissé qu’un faible reflet à la lune, tandis que Valentinien a fait un partage égal avec son frère : si le soleil s’était comporté avec la même générosité, il ferait jour pendant vingt-quatre heures. L’hyperbole est forte ; mais Juvénal nous avertit que, lorsqu’on adresse des complimens au maître, il n’est pas besoin de se mettre en peine de les rendre vraisemblables, et que les plus excessifs sont toujours les mieux reçus. Ces exagérations ridicules étaient d’usage dans les panégyriques ; elles ne prouvent rien contre Symmaque : c’était en réalité un très honnête homme, dont la correspondance, que nous avons heureusement conservée, est pleine des sentimens les plus honorables. Les flatteries dont il accablait les princes dans ses discours publics ne l’empêchaient pas de leur dire la vérité quand il le croyait nécessaire, et quelquefois de leur tenir tête. Le seul fait d’avoir défendu contre eux ses croyances religieuses nous prouve qu’il était plus ferme, plus courageux, plus indépendant que ses panégyriques ne le laissent soupçonner.

Symmaque, comme Flavien et Prætextat, était un païen convaincu ;