Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 88.djvu/791

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

manière de célébrer un succès ; quel succès ? Ils venaient d’être, en dépit de leur acharnement,, repoussés et maltraités ; était-ce donc qu’il y avait eu pour leur cause ailleurs quelque avantage ?


V

Le poste de Djemma-Ghazaouat avait pour commandant le lieutenant-colonel de Montagnac : le poste et le commandant n’étaient pas faits l’un pour l’autre.. Montagnac, très brave et très vigoureux soldat, avait, par-dessus, toute chose, le besoin de l’action, la passion du coup, de fusil et du coup de sabre.. Stoïque dans sa vie, homme, d’honneur au premier chef, il dédaignait la réclame ; les grades lui étaient venus sans qu’il les eût sollicités ; il ne les devait qu’à son mérite et à l’estime de ses chefs. Dans les premières années de sa carrière, il avait refusé publiquement la croix de la Légion d’honneur, parce qu’elle ne lui avait pas paru suffisamment gagnée. Il aimait passionnément son métier et la guerre. pour elle-même. Voilà ses qualités, nobles, grandes, mais où perce déjà le germe de ses défauts. Il était fougueux, violent, aventureux, emporté au premier mouvement. Quand on lit le recueil de ses lettres, on est frappé de ce fait qu’il avait l’impression et L’expression toujours excessives. C’était un caractère du XVIe siècle, un vrai contemporain de Montluc.

Comment avait-on pu mettre cet homme d’action à la chaîne, dans ce réduit de Djemma-Ghazaouat, qui ne devait être qu’un poste d’observation et de ravitaillement ? Première erreur. Comment, ensuite lui avait-on donné la tentation de sortir et d’agir, en mettant sous ses ordres, non pas une garnison, simplement suffisante ; mais les élémens d’une petite colonne ? Seconde erreur. « Il ne devait point, a dit La Moricière, faire une colonne mobile de sa garnison. Ses instructions lui prescrivaient d’agir avec la plus grande prudence et d’attendre la venue d’une colonne, soit pour réparer les irrégularités dont il avait souvent à se plaindre, dans les relations des tribus avec lui, soit pour rassurer les populations frontières qui chaque jour nous annonçaient la venue de l’émir. » Mais la Moricière connaissait l’homme ; il avait vu sa fougue dans la première campagne d’hiver à Mascara, et l’estime qu’il portait à sa bravoure n’aurait pas dû lui en faire oublier les emportemens. Quand, au mois d’avril, le maréchal Dugeaud était venu visiter Djemma-Ghazaouat, il avait parlé à Montagnac et lui avait fait, « sentir avec force, — c’est son expression, même, — combien il pouvait être dangereux d’aller livrer des combats au dehors, ainsi qu’il en manifestait l’intention. »